Finalement, la seule vraie déception de cette Route du rock hiver 2010 aura été l’annulation des très attendus The xx le samedi. Pour le reste, la belle affiche a tenu ses promesses, dans une ambiance chaleureuse et des lieux à taille humaine. Récit de trois jours de musique et de galettes-saucisse.
Vendredi 19 février
[Samedi 20 février] – [Dimanche 21 février]
Alors qu’on profite des derniers rayons de soleil en faisant le tour des remparts de Saint-Malo, on tombe sur Fred, le responsable du site non officiel du festival, qui nous annonce une bien mauvaise nouvelle : The xx annule son concert du lendemain, la chanteuse Romy Madley Croft venant de perdre son père. C’est évidemment tragique pour elle, qui a appris ce drame juste après le triomphe du groupe à la Cigale ; c’est juste dommage pour tous ceux qui pensaient avoir là l’occasion de voir les Anglais dans une salle pas trop immense. Espérons qu’ils reviennent bientôt…
Un petit coup d’omnibus pour se rendre à l’Omnibus, où, arrivé un peu tôt, on jette un œil aux stands de merchandising des groupes pour patienter, tandis qu’aux platines, les excellents Magnetic Friends enchaînent classiques indie et perles plus rares tirées de leurs immenses et impeccables discothèques.
A 20 heures pétantes, le premier groupe de la soirée, les Fiery Furnaces, monte sur scène. On connaît sa réputation de groupe bouillonnant aux sonorités tortueuses. Accompagnés d’une section rythmique, Eleanor et Matthew Friedberger attaquent avec « Charmaine Champagne », puis enchaînent par trois morceaux saccadés, à la fois pêchus et ciselés, multipliant les changements de rythmes, variant sans cesse les dynamiques. Le frère et la sœur alternent surtout tension et accalmie, laissant reposer la machine avec le jazzy « Drive to Dallas », comme ils le feront plus tard avec « The End Is Near ». Priorité est donnée au dernier album, « I’m Going Away« , même si le groupe joue aussi le faussement classique « Duplexes of the Dead », tiré de « Widow City« , ainsi que quelques extraits accélérés de son excellent premier disque de 2003. Le tout est plié en 41 minutes.
Après les franges des Friedberger, la soirée se poursuit dans un esprit « Je fais ce que je veux avec mes cheveux » en compagnie de Beach House. Mais le rapprochement est plus capillaire que musical, les ballades oniriques et alanguies de Victoria Legrand et Alex Scally, accompagnés d’un batteur, contrastant fortement avec les morceaux tout en nerfs et en brisures des Fiery Furnaces. Entourés d’espèces de sucettes géantes en fausse fourrure blanche (allez sur Arte Live Web pour voir à quoi ça ressemble), les esthètes pop de Baltimore tirent d’entrée de jeu leur meilleure cartouche avec un « Walk in the Park » qui donne la chair de poule et nous immerge dans un songe sonore dont on ne sortira que trois quarts d’heure plus tard. La suite puise essentiellement dans le nouvel album, le très abouti « Teen Dream« , avec quelques détours du côté des deux précédents (« Gila », « Master of None », « Heart of Chambers »). Apparemment, le groupe a changé de tailleur (ou plutôt de fripier) depuis son concert d’août dernier au Nouveau Casino et affiche une quasi-monochromie noire plutôt classe.
La Gorgone Victoria, plantée derrière ses claviers, fixe toujours le public d’un regard à l’intensité presque inquiétante, et parle français comme une Américaine qu’elle n’est pourtant pas à l’origine. Malgré un son inutilement fort, l’un des grands moments de cette Route du rock hivernale.
Suivait le concert le plus étonnant d’un festival pourtant peu avare en surprises. Mystérieux collectif de Portland à géométrie très variable, ayant sans doute rarement l’occasion de jouer devant autant de monde, Jackie-O-Motherfucker se présentait en quartette : trois guitaristes (dont l’un, Tom Greenwood suppose-t-on, officiait par moments au micro) et un batteur, portant tous lunettes. Le groupe n’a joué que deux morceaux… chacun durant entre vingt et trente minutes. Devant ce psychédélisme pour le moins étiré, une bonne partie du public a vite déserté vers le bar. Ceux qui sont restés auront pu apprécier une musique certes assez déconcertante par son recours intensif à l’improvisation, mais moins informe qu’il n’y paraît au premier abord. Un peu comme du rock joué dans un esprit free jazz. Bon, on n’écouterait peut-être pas ça le matin au réveil, non plus…
Pas rancuniers, les programmateurs de la Route du rock avaient réinvité The Horrors, qui leur avaient fait faux bond lors de la dernière édition aoûtienne (pour des raisons qui font toujours débat, semble-t-il). Pas mal aussi dans le genre « effet décoiffé » (surtout le chanteur, l’immense et filiforme Faris), le groupe est l’un des plus attendus de la soirée, notamment par de jeunes fans anglais(es) qui ont traversé la Channel pour eux. Pas de grosses surprises : The Horrors joue l’essentiel de son deuxième album, le fort bon « Primary Colours » avec un son puissant, massif, terminant par le magistral « Sea Within a Sea ». Quand il allonge ses interminables bras, Faris fait un porte-manteau parfait ; il reçoit d’ailleurs un pull et même un soutien-gorge jetés de la fosse… Par moments, c’est plus assommant que vraiment envoûtant, mais il faut reconnaître que derrière la pose, il y a (souvent) de vraies chansons, un sens de l’atmosphère et de belles idées sonores.
C’est justement le producteur de « Primary Colours« , Geoff Barrow, cerveau de Portishead, qui leur succède avec son trio Beak>. Loin du fonctionnement complexe de son autre groupe, des Zénith et des sorties d’album ultra-médiatisées, ce projet lui permet de revenir à une approche plus spontanée et plus légère de la musique. Déjà perceptibles en filigrane sur le dernier Portishead, les influences du krautrock « motorik » (Can, Neu !…) et des Silver Apples sont ici très présentes. Barrow, à la batterie et à la voix déformée, ne se contente pas pour autant d’un simple décalque ou d’un hommage trop respectueux. Ludique malgré l’ambiance tendue de la plupart des morceaux, le concert, sans être exceptionnel, s’avère plutôt prenant.
Trop fatigués, nous zappons le pourtant méritant Turzi (et l’after clubbing à l’Escalier) pour rentrer à pied – et sous une pluie battante – jusqu’à notre hôtel intra-muros.