BEACH HOUSE – Teen Dream
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Abandonnons pour une fois ce rôle de pisse-froid qui nous va si mal au teint (qu’on a d’albâtre, hein ?), et osons une comparaison pour exprimer notre ravissement devant le dernier Beach House : leurs deux premiers albums magnifiques et secrets étaient comme des cavernes d’Ali Baba ; pour y entrer, il fallait trouver le sésame : un "Master Of None" velvétien et gorgé de soul sur le premier album éponyme, "Gila" et ses vocalises écartelées sur "Devotion". "Teen Dream" n’a besoin d’aucun sésame – il comporte au moins cinq morceaux pour lesquels bien des groupes se damneraient ; c’est tout simplement le Taj Mahal pop de ce début d’année, qui confirme l’incroyable santé de ce duo franco-américain visible jusque dans la face B de son premier single, "Baby", à écouter en boucle sur Spotify.
Jusque-là, chaque album de Beach House se présentait comme un tout compact qui pouvait désarçonner l’auditeur, l’orgue et la voix puissante de Victoria Legrand dominant les débats d’une bonne tête tandis qu’en fond, Alex Scally essayait d’allumer un contre-feu de sa guitare chétive. Plus proche de "Beach House", on ne voit guère que "La Fossette" de Dominique A. Deux disques plus tard, le son si particulier du duo est toujours là mais comme boosté par une dynamique d’écriture nouvelle que l’excellent Chris Coady fait ressortir à merveille. On regrettera jusque l’amateurisme souligné de "Norway" – imparable en concert et beaucoup moins audible dans une version studio défigurée par une prise de guitare qui égrène les fausses notes. Cet écart nous ferait presque envisager Beach House comme un double pop inversé des White Stripes avec Legrand, bête de scène, en guise de Jack White tandis que Scally, guitariste loin du prodige, jouerait le rôle de Meg.
"Teen Dream" est peut-être l »’Elephant" de Beach House – un disque profondément personnel, voire obsessionnel, toujours grisé par les facettes du sentiment amoureux, mais moins pelotonné (malgré de beaux écarts : "Real Love"), plus ouvert en grand, comme une fenêtre qui après n’avoir laissé percer de l’hiver qu’une blancheur sourde accueillerait le printemps et sa grande bouffée de senteurs capiteuses.. Le sentiment s’y clame à tue-tête ("Lover of Mine", "A Walk In the Park") malgré encore quelques fêlures en plein élan ("Used To Be"). Et surtout des rythmiques soutenues comme jamais témoignent d’un penchant rock enfin assumé (le magistral et obsédant "Silver Soul"). Sur ses albums précédents, Beach House avait déjà tout – un son unique, des chansons appelant les reprises – mais il préférait le garder pour soi avec une retenue que la force d’interprète de Legrand démentait pourtant. "Teen Dream" est un grand disque de crossover audible par presque tous en toutes occasions, ce qu’ont raté successivement Animal Collective et Grizzly Bear, dans des catégories voisines : électro-folk tribal et savante pop jazzouille. Ici, rien n’est perdu, tout est gagné. Et, comme à leur belle habitude, le groupe congédie doucement l’auditeur avec un mantra à fredonner jusqu’au sommeil : "Take Care", à la fois apaisant et galvanisant qui promet des rêves d’amour et de protection. En un mot : indispensable.
Christophe Despaux
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A lire également, sur Beach House :
la chronique de « Beach House » (2007)
Zebra
Silver Soul
Norway
A Walk in the Park
Used to Be
Lover of Mine
Better Times
10 Mile Stereo
Real Love
Take Care