THE TWILIGHT SAD – Forget The Night Ahead
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Beaucoup de bruit pour, hélas, fort peu de choses. La déception est à la mesure de la surprise et de l’impact exceptionnel produits en son temps par le premier album du groupe, "Fourteen Autumns & Fifteen Winters", grave, monolithique, énergique jusqu’à la rage, toujours en mouvement et, avant tout, bourré de renversantes progressions mélodiques et de refrains tapageurs. Fleuve en cru, explosant tous les barrages dressés contre sa coulée, la musique de Twilight Sad s’embourbe maintenant péniblement dans un marais aux eaux lourdes, s’enfonçant de plus en plus à mesure qu’elle tente de s’en extirper, comme dans le tableau de Goya où deux hommes engagés dans une lutte à mort sont avalés par les sables mouvants. Expliquons-nous. Oui, il y a dans ce second LP des morceaux spectaculaires, à la hauteur de ses prédécesseurs, tels "Made to Disappear" ou l’excellent single "I Became a Prostitute", belle et émouvante construction dans laquelle le chant se fait enfin bouleversant et le refrain enfin digne d’un tel nom. Ces deux exemples de réussite formelle et d’efficacité émotionnelle jettent pourtant une méchante ombre sur l’ensemble du disque, paradoxalement d’une richesse supérieure au précédent, notamment dans le registre des textures et des atmosphères, alors même qu’il donne la désagréable impression de tourner en rond, ou de se rattraper sur la branche la plus proche et, pas de chance, la moins solide. Ainsi, la plupart des titres sentent la récupération, dont on daignera penser qu’elle n’est pas volontaire, d’un corpus similaire à ceux d’Editors, d’Interpol ou du post-rock britannique. Le malaise procède probablement du sentiment lancinant, bientôt imprégnant chaque écoute, que même les parts intéressantes de ce gâteau plein de gras et de glacis ont été composées à partir de miettes recueillies en coin de table, ou, pour aller droit au but, qu’on ne rencontre dans cet album que peu de choses étonnantes. Après tout, quand cela est fait avec métier, un estomac souple est capable de s’y accomoder, voire d’y goûter avec plaisir. Malheureusement, de gros morceaux bien adipeux viennent constamment gêner l’absorption de produits certes périmés et cependant encore comestibles.
Lorsque la table est bonne, le repas est, la plupart du temps, tout de même gâché. Illustration symptomatique avec "Seven Years of Letters", dont le pouvoir d’illusion fonctionne jusqu’à ce refrain, en supposant qu’il s’agisse bien d’une telle chose, bordélique au possible, qui serait peut-être morceau de bravoure s’il s’agissait d’un Concerto Pour Tronçonneuses, mais qui pour des oreilles relativement délicates comme les miennes est surtout un sale moment à passer, d’autant plus que les couplets subtils et inspirés laissaient présager d’un réel régal. Brut de décoffrage, Twilight Sad l’a toujours été et ce n’est pas le moment de le regretter, puisqu’il s’agissait d’une des qualités de "FA&FW", mais autant, bien tourné et en mouvement, ce côté frontal était enthousiasmant, autant cette fois, les structures semblent immobiles, engluées, trop massives, empêchant les brèves fulgurances de se développer comme ils en avaient le potentiel. D’ailleurs, lorsque sont tenues à l’écart les disgressions bruitistes dont le sommet est atteint sur l’éprouvante et vaine "Scissors" et que le groupe se concentre sur la mélodie, le tempo, autrement dit le squelette, plutôt que d’ajouter greffes vite rejetées, l’album semble enfin aller quelque part ou, soyons plus précis, procurer quelque sensation, comme sur l’intense "The Room" et ses brutales trilles de piano. Oui, je l’admets, je suis vieux jeu : j’ai encore besoin que la musique soit musicale.
De ce point de vue, je me sens donc extrêmement frustré, autant, semble-t-il que les divers personnages dont les aventures morbides sentent moins le gui que le sapin, situations par ailleurs extrêmement dures à déchiffrer tant l’écriture de James Graham s’avère pour le moins cryptique, façon de dire qu’on y comprend goutte et que certains textes semblent être une juxtaposition d’expressions maisons et d’associations obscures dont le liant m’est invisible. Si certains en saisissent le sens, qu’ils nous éclairent donc.
Julian Flacelière
A lire également, sur The Twilight Sad :
la chronique de « Fourteen Autumns & Fifteen Winters » (2008)
Reflection of the Television
I Became a Prostitute
Seven Years of Letters
Made to Disappear
Scissors
The Room
That Birthday Present
Floorboards Under the Bed
Interrupted
The Neighbours Can’t Breathe
At the Burnside