CLARE AND THE REASONS – Arrow
(Fargo / Naïve) [site] – acheter ce disque
C’est toujours difficile de coucher sur papier la sensation que procure la musique. Et plus c’est grandiose, plus on perd pied. Autant vous dire que "Arrow" – deuxième album du combo – , vous plante en plein abysse. Face à un tel chef-d’oeuvre, les mots sont forcément vains et très en dessous de la réalité. Les morceaux sont si profonds et ouvragés qu’il est impossible de s’en emparer. On voudrait cristalliser la magie du moment, alors, on y plonge les mains pour tenter d’en conserver quelques bribes, mais lorsque les doigts se referment, la fine poussière d’or s’échappe inexorablement pour s’offrir au vent, comme pour – déjà – nous emmener vers un autre ailleurs. Impossible – donc – d’en traduire avec justesse la teneur, ni d’en faire le tour avec exhaustivité. Les treize pépites ont beau être fixées sur la galette argentée, elles semblent pouvoir s’y mouvoir librement, comme pour permettre à l’heureux hôte de découvrir, à chaque écoute, la caresse des détails comme à la première fois.
Plus fort encore, libres et polymorphes, les électrons s’échappent de leur enveloppe matérielle et s’emparent de vous jusqu’à vous plonger dans un décor de Walt Disney et/ou de comédie musicale des années 30/40. Alors, endossant le rôle d’humble personnage chthonien, l’auditeur, pendu aux lèvres de Clare Muldaur – sorte de Blanche-Neige ensorceleuse des temps modernes, dont la seule voix supplante les charmes les plus puissants – se laisse balader dans les couloirs d’une pop symphonique, où se croisent le génie mélodique de Paul McCartney, et la minutie d’orchestration de Sufjan Stevens. "This Is the Story", morceau d’une beauté ultime, en constitue la représentation parfaite, et se permet même une courte – mais néanmoins fort à propos – trouée Ravelienne, avec un Boléro qui fout le frisson, sublimé par des cuivres ronds et ouatés, sur un fondu de piano dont la simplicité n’a d’égal que la beauté des notes qui s’en envolent.
"Perdue à Paris" nous emmène dans les rues luisantes de pluie de la capitale, d’un coup magnifiée. J’imagine bien la New-Yorkaise sauter de flaque en flaque, façon "Singin’ in the Rain", à la recherche de son Olivier (Manchon) – multi-instrumentiste sagace et harmoniste émérite – amoureux à la scène comme à la vie. "Photograph", tableau mélancolique nourri de cordes frottées et de flocons de voix, continue sa course dans la même lignée. Chacun des treize titres est le rouage enluminé d’une mécanique orfévrée dont la poésie quintessenciée n’en est pas moins légère et aérée. L’album n’est fait que de faîtes, mais comment clore la page sans évoquer les culminants "You Getting Me", "Murder, They Want Murder", "Kyoto Nights"… – j’arrête ! – à la fois empreints des sixties, du classique (dans le sens éclairé du terme), et de modernité éternelle. "Arrow" m’a traversé le coeur, et la neige qu’il y a déposée au sommet n’est pas près de fondre.
David Vertessen
A lire également, sur Clare and the Reasons :
l’interview (2008)
la chronique de « The Movie » (2008)
All the Wine
Ooh You Hurt Me So
Our Team Is Grand
You Got Time
That’s All
Mellifera
You Getting Me
Kyoto Nights
This Is the Story
Perdue à Paris
Photograph
Murder, They Want Murder
Wake Up (You Sleepy Head)