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A Christmas Gift for You From Phil Spector (Legacy Edition)

V/A – A Christmas Gift for You From Phil Spector (Legacy Edition)
(Universal) [site] – acheter ce disque

V/A - A Christmas Gift For You From Phil Spector (Legacy Edition)« Du Wagner pour ados branchés ». Voilà comment Barney Hoskyns résume le mur du son créé par Phil Spector à partir de 1962 et du phénoménal tube des Crystals, « He’s a Rebel ». On a déjà tout dit sur l’homme : mégalomaniaque, perfectionniste, visionnaire, casse-couilles monumental, « petit Juif de merde » pour reprendre les savoureux propos de Lew Bedell (Doré Records). « A Christmas Gift for You » se situe au carrefour de la carrière de Spector. Jamais il n’aura autant de liberté artistique, presque jamais il ne poussera aussi loin ses excentricités sonores et jamais il ne s’en remettra réellement. Intouchable depuis son arrivée chez Philles et les triomphes des singles « Da Doo Ron Ron », « Then He Kissed Me » et « Be My Baby », Spector peaufinait depuis des mois son fameux « Wall of Sound » avec l’arrangeur Jack Nitzche, transgressant toutes les règles de l’industrie en embauchant des dizaines de musiciens, en enregistrant (sur la même chanson !) trois pianos, deux batteries, etc., y ajoutant des montagnes de percussions, et, évidemment, montant le son au maximum. Il n’en fallait guère davantage pour qu’il soit aussitôt catalogué comme un cinglé incontrôlable par les nanabs de la côte Est et immédiatement idolâtré par tout ce que la côte Ouest comptait de freaks. Comme son nom l’indique, « Christmas Gift » est une compilation de Noël composée de titres traditionnels passés à la moulinette Spector et chantés par les meilleurs poulains et pouliches de son écurie. Darlene Love reprend « White Christmas », single le plus vendu de tous les temps écrit par Irving Berlin en 1942. Si la nostalgie du titre originel demeure, le traitement de l’armada Philles y injecte une grosse dose de béatitude : choeurs soul angéliques, cuivres déments, cordes sirupeuses, section rythmique bourrée de dynamite. Traversé de bout en bout de percussions phénoménales, le vibrato de Ronnie catapulte jusqu’aux sommets l’ancien tube fifties de Gene Autry, « Snowy the Snowman ». Les Crystals appliquent à la lettre la recette de grand-père Philou sur « Santa Claus », méga-hit des années 30, renforcés par une flotte de clochettes et de castagnettes surdopées. L’unique titre composé exclusivement pour la compilation est une autre merveille du duo Barry/Greenwich, « Christmas », irrésistible sucrerie chantée par Darlene Love. Ronnie Spector devait à l’origine officier au micro mais l’interprétation poignante de la transfuge des Crystals impressionna tant le patron que ce dernier préféra envoyer sa belle aux orties. C’est dire. Ce titre, un des meilleurs qu’ait jamais produit le maître, fait abondant usage des couches d’instruments expérimentées au studio Gold Star, amenées à un degré terrifiant de raffinement et de bon goût. Le reste n’est pas du même tonneau que les titres précédemment cités, mais justifierait de toute façon à lui seul l’achat du disque.

On connaît la définition d’un album donnée par Spector : « deux hits et dix merdes ». « Christmas Gift » prouve pourtant qu’il était capable de produire un album cohérent sur lequel rien ne serait à jeter, participant ainsi au coup d’envoi du LP en tant qu’objet noble et réfléchi, dont l’apogée se situera autour de 1965/1966. Spector déploya tant d’efforts à cette nouvelle tâche que les sessions d’enregistrement durèrent six semaines, longueur inouïe pour l’époque, épuisant tous ses collaborateurs, pour un succès d’abord modeste (l’album sortant le même jour que l’assassinat du président Kennedy). L’heure n’était guère à la rigolade, et « Christmas Gift », album de célébration par excellence, sonnait, en cette fin d’année, un peu comme la cérémonie d’adieu de l’Amérique à l’optimisme et la fin d’une pop légère, ludique, ne s’occupant ni de politique ni de sujets de société sérieux. « Christmas Gift » devenait, du jour au lendemain, atrocement ironique. Pour la première fois, un gros caillou détraquait la machine parfaitement huilée : la vie quotidienne, les événements entraient par effraction dans la chambre d’écho du surdoué et le cocon de Gold Star était transpercé de part en part. Ce 22 novembre 1963, le fusil Carcano M91/38 n’a pas visé que Kennedy. Son armure subit de sérieux dommages et plus rien ne sera comme avant dans le petit monde de Spector.

Julian Flacelière


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