NATHANIEL MAYER – Why Won’t You Let Me Be Black ?
(Alive Recordings / Differ-ant) [site] – acheter ce disque
Quand on parle de musique noire, Detroit est avant tout la ville de Tamla/Motown. D’accord. Il existait toutefois un autre label, à l’importance infiniment moins grande, diffusant sa propre version de la soul music : Fortune Records. Si le label légendaire du visionnaire Berry Gordy diffusait le son la nouvelle jeunesse américaine, Fortune Records, fondé par Jack et Dorothy Brown en 1946, disposait d’un catalogue largement plus passéiste et, disons, provocateur. Ces outsiders à la politique musicale chaotique avaient par exemple enregistré Nolan Strong, le regretté Andre Williams… Et, surtout, la voix puissante de Nathaniel Mayer, auteur en 1962 d’un single dément, "Village Love", sur lequel le kid est accompagné des Fabulous Twilights. A la surprise du couple Brown, le titre déboula dans les charts américains, atteignant la 22e place, devenant ainsi le plus grand succès du label. "Village Love" représentait la quintessence du son des clubs de Motor City où les adolescents commençaient à affluer en masse. Il est vrai, quoi qu’il en soit, qu’avec son admirable alchimie entre le rock de la fin des années 50 (Hank Ballard notamment), de doo-wop et de R’n’B à la Little Willie John, ce titre ne ressemble guère au canon soul habituel. Pendant cinq années, de 1961 à 1966, Mayer composera plusieurs singles essentiels, qui ne connaîtront qu’un succès régional : la tendrement désespérée "My Last Dance With You", "I Had a Dream", "A Place I Know" et la bombe atomique funky "I Want Love & Affection (Not the House of Correction)". Après cette dernière, ne voulant plus enregistrer pour Fortune à cause de royalties impayées, il quitte le navire et disparaît des écrans radar pendant plus de trois décennies. Le public le redécouvre lors de la sortie sur Fat Possum du génial "I Just Want to Be Held", mélange dévastateur de garage et de soul sublimé par les Fabulous Shanks.
Eté 2007 : avec l’aide de Dave Shettler, Dan Auerbach (Black Keys), Troy Gregory (Dirtbombs) et Matthew Smith (Outrageous Cherry), Nathaniel Mayer écrit et enregistre une dizaine de morceaux lors de sessions à la fois studieuses et fraternelles. Le premier volume de ces intenses sessions, l’inoubliable "Why Don’t You Give It to Me ?", paraît en 2007. Le second aujourd’hui donc, toujours par l’intermédiaire d’Alive Recordings. Six compositions originales et deux bouleversants morceaux acoustiques que Mayer joua pour une radio. On ne va pas mégoter : ce disque est indispensable à tous les mélomes admirateurs du genre, comme l’est par ailleurs le récent B.B. King. "Why Won’t You Let Me Be Black" débute d’admirable manière avec une ébanlouissante performance vocale de Mayer, toute en retenue, d’une justesse impeccable, cinq minutes de grâce soutenue par le jeu rugueux d’Auerbach et compagnie. Un an après la mort du maître, on ne peut s’empêcher d’être touché jusqu’à la racine par la force se dégageant de son chant, toutes tripes dehors, sans fard, aussi chaleureux que douloureux. Un vrai coup dans l’estomac ! Moins envoûtantes mais de qualité irréprochable, "If You Would Be My Guide" , "You Are the One" et surtout "The Girl Next Door" contiennent tant de bonnes choses qu’une vingtaine d’écoutes ne suffisent guère à en découvrir les moindres recoins. Grognant, gémissant, interpellant dans "Mr Tax Man", on se souvient alors pourquoi l’américain était surnommé "The Nay Dog". En 2009, Mayer demeure aussi particulier qu’en 1962 : sentimental sans faire trop étalage de pathos, rugueux et licencieux en même temps que sobre et délicat, capable de transfigurer un primitif accompagnement garage en un vertigineux blues âpre et lascif. Probablement le dernier album d’un artiste colossal, d’autant plus essentiel qu’il demeure encore et toujours en marge.
Julian Flacelière
Dreams Come True
Mr. Tax Man
I You Would Be My Guide
She’s Bad
You Are The One
The Girl Next Door
The Puddle
What Would You Do ?