VIC CHESNUTT – At The Cut
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Certains hommes font preuve d’une admirable assiduité. En moins de vingt ans de carrière et presque autant d’albums, Vic Chesnutt n’a jamais frustré un public pourtant exigeant, de ses débuts sous le patronage de Michael Stipe à sa signature sur l’éminent label Constellation. Certainement ravi par l’expérience "North Star Deserter", Chesnutt collabore de nouveau avec quatre membres éminents du label (Thierry Amar, Efrim Menuck, Jessica et Nadia Moss), ainsi que le guitariste de Fugazi, Guy Picciotto. A tel point que le premier titre d’"At The Cut" peut être considéré comme une véritable collusion entre deux univers : celui, flamboyant, dramatique, délicieusement solennel de Silver Mt. Zion et celui, nuancé, fragile et grâcieux de Vic Chesnutt. Certains hurleront probablement à l’imposture tant "Coward" semble condenser les éléments de l’identité musicale de la formation canadienne. C’est que Chesnutt semble avoir de nouveau trouvé une famille de musiciens avec qui l’entente s’avère parfaite et fertile, participant ainsi à un équilibre tellement évident qu’il paraît pensé dans les moindres détails. Parfois, Chesnutt avance sans se presser accompagné par une section rythmique d’une grande distinction, au jeu jazz velouteux et feutré, entre laquelle se glisse un mélancolique violon et des accords de guitare ibérique ("We Hovered With Short Wings"). Puis une ballade somme toute mélodiquement classique dépasse son cadre initial grâce à un simple et merveilleux arrangement pour guitare et piano, Nadia Moss ponctuant le chant d’une gracieuse ligne de cordes. Suscitant l’intérêt de l’auditeur du début à la fin, l’instrumentation a réellement belle allure, tour à tour relâchée et tendue, et marquée par nombre de passages d’une ample richesse sonore.
Si le navire change immédiament de cap après le titre d’ouverture, délaissant les grimpettes rageuses chères à Efrim Menuck au profit d’une plaisante sobriété où la finesse tient lieu de force, les nuages assombrissant l’horizon demeurent identiques : deuil, souvenir, instabilité, fatalité, mortalité, fermeté, couardise… Pourtant, pour un disque travaillé par le langage de la douleur, investi par la notion de dégénerescence, "At the Cut" se révèle aussi rond et chaleureux que l’envoûtante contrebasse de Thierry Amar au début de "Chinaberry Tree". Ce constat est d’autant plus remarquable que Chesnutt nous fait grâce des sempertinelles et éculées images emo-gothico-romantiques du genre "abysse", "enfer" ou "purgatoire". Pour évoquer la mort, Chesnutt fait plutôt dialoguer un petit-fils et sa grand-mère dans une scène à la fois touchante et presque anodine ("Granny") ou l’apostrophe humblement dans une des plus belles chansons qu’il ait jamais écrites ("Flirted With You All My Life"). Surtout, Chesnutt n’oublie jamais que la mort est le contrepoint de la vie, que l’une serait dénuée de densité sans l’autre et que la lumière aussi fait l’ombre. Inutile et puéril, donc, de se révolter contre son existence. Il refuse tout sentimentalisme de bon aloi et se confronte à sa situation sans aucune aigreur, sans demander pardon ni réclamer des excuses, rejetant d’un revers de manche toute tentative de définition.
S’il n’a pas l’audace d’un Neil Hannon ou le lyrisme d’un Chris Garneau, Vic Chesnutt dispose toutefois de jolies cartouches mélodiques et d’un talent de conteur consommé. Il s’agit également, il ne faudrait pas le négliger, d’un interprète de grand charme, sachant placer sa voix à merveille, ne se limitant pas à un unique registre et parvenant apparemment sans effort à éviter tout sentiment de monotonie. Saluons encore une fois la constance et le dynamisme d’un artiste au talent encore trop négligé.
Julian Flacelière
A lire également, sur Vic Chesnutt :
la chronique de « Dark Developments » (2008)
la chronique de « North Star Deserter » (2007)
la chronique de « The Salesman and Bernadette » (1998)
Coward
When the Bottom Fell Out
Chinaberry Tree
Chain
We Hovered With Short Wings
Philip Guston
Concord Country Jubilee
Flirted With You All My Life
It Is What It Is
Granny