TINARIWEN – Imidiwan : Companions
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Depuis le début du nouveau siècle, les assoiffés de musiques asiatiques et africaines, principalement, peuvent s’abreuver à une source de plus en plus large et profonde, grâce au remarquable travail d’éditeurs casse-cous comme Analog Africa, Syllart ou Netword Medien, et à la position médiatique de certains chercheurs d’or occidentaux n’hésitant pas à parier quelques billes sur d’illustres inconnus ou sur des artistes n’ayant pas forcément les moyens financiers de se faire connaitre. On peut penser ce que l’on veut des quelque peu agaçants Damon Albarn, Peter Gabriel, Brian Eno et consorts, toujours est-il qu’ils ont su regarder plus loin que le bout de leur nez et que leur passion a porté quelques beaux fruits. On n’est ainsi même plus surpris du succès d’artistes comme Femi Kuti, Staff Benda Bilili ou Tinariwen, gang de touaregs d’une classe inouïe dont "Imidiwan : Companions" est la quatrième sortie internationale. Bien que le succès économique ne soit pas aussi important qu’espéré, le groupe est à ce point estimé que même la presse britannique la plus putassière s’est pour un temps débarassée de son arrogance occidentale à l’égard de la culture des anciennes colonies et du Sud en général, portant le groupe en triomphe. Certes, leur histoire est on ne peut plus "bankable" comme on dit là-bas. Comparé au passé des membres de Tinariwen, les récits les plus sordides de gangsta-rappeurs, les frasques de Doherty et les bastons des Gallagher paraissent aussi violents et bidons qu’une course de chariots dans un épisode de La Petite Maison dans la Prairie. Le père du fondateur du groupe a été tué par les militaires maliens pour avoir aidé les résistants touaregs, alors qu’Ibrahim lui-même ainsi que plusieurs autres membres se sont par la suite entraînés dans un camp de guérilla lybien après avoir été chassés du Mali par la dictature de Moussa Traoré. Leur musique puise évidemment une partie de sa force dans ce fascinant background où se mêlent catastrophes naturelles, religion, géopolitique, répression, frictions entre seigneurs de guerre, et résistance pour conserver un mode de vie touareg hautement fragilisé par les terribles sécheresses s’étant abattues sur le Mali durant les années 70 (et dont les conséquences furent rendues encore plus désastreuses avec la passivité, voire l’indifférence, des gouvernements successifs).
La formation a beau changer au fil des ans, le noyau dur de Tinariwen demeure le même : six guitaristes et quelques femmes au chant et aux percussions jouant un blues rauque, brûlant, aussi cru qu’élégant, dont le cynisme est absolument absent, tel un grand doigt d’honneur lancé à ceux qui les ont forcés à l’exil en les bannissant, sous les yeux bandés de l’Occident. Leur succès des deux côtés de l’Atlantique tient, je crois, énormément à la foi et à la révolte, cette fois légitime, que les auditeurs ressentent immédiatement sans pourtant comprendre un mot des textes ni être habitués à des structures et des arrangements relativement particuliers. Ils comprennent surtout bien vite à quel point leur musique est diablement bonne. Pas une note de chiqué là-dedans, de cajoles et de flatteries envers un quelconque public : Tinariwen parle à travers sa musique exactement de la même chose que dans les camps de réfugiés il y a trente ans, avec plus d’expérience et d’audace.
Comment décrire cela ? Essayons. Des tambourins cavalant derrière des riffs de guitare funky, un accord suffisant pour mettre tout le monde au diapason, des traces de l’héritage des joueurs de kora, des mélodies folk de la culture touareg. Et encore davantage que cela, comme une indispensable chaîne reliant le blues du Delta, Howlin’ Wolf, Ali Farka Touré, Ry Cooder et Can. Le producteur Jean-Paul Romann s’éloigne du travail de Justin Adams sur le précédent album, évitant de passer les guitares à travers des pédales wah-wah ou des fuzzboxes, se concentrant davantage sur les voix et les choeurs ardents et subtils dont le titre d’ouverture est tout à fait représentatif. Oubliés aussi les multi-pistes des percussions et, globalement, tout ce que la technologie permet de faire en post-prod. Romann a tenu à enregistrer le groupe en live dans différents villages maliens, seulement aidé d’un studio portatif alimenté par un générateur. Si bien que tout sonne délicieusement encrassé, comme sorti d’une des nombreuses rétrospectives sur la musique ouest-africaine avec son lot de passages étonnants : le mélange kora-guitare dans "Lulla", un ancestral riff blues propulsant parfaitement un phrasé rap ("Tenhert"), des rythmes innacoutumées (l’apparent décalage enivrant de "Enseqi Ehad Didagh"), des drones de guitares étrangement accordées et des basses puissantes et superbes ("Kel Tamashek", "Assuf Ag Assuf"). On y trouve même un titre pop derrière lequel Vampire Weekend et Yeasayer auraient tort de ne pas courir et qui deviendra peut-être l’hymne de Tinariwen ("Imidiwan Afrik Tendam"). Quant au final, on vous laisse découvrir bouche bée ce concentré d’énergie, de poésie et de maîtrise musicale.
Julian Flacelière
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Imidiwam Afrik Tendam
Lulla
Tenhert
Enseqi Ehad Didagh
Tahult In
Tamudjeras Assis
Intitlayaghen
Chegret
Kel Tamashek
Assuf Ag Assuf
Chabiba
Ere Tastafa Adounia