SUNSET RUBDOWN – Dragonslayer
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Pour Spencer Krug, "Dragonslayer" est un album "poppy". Un disque pour lequel il aurait convié ses musiciens en leur disant simplement "cette fois-ci, ce sera plus simple : on va prendre nos instruments et jouer des chansons catchy de quatre minutes". Il faut reconnaître à cet album un sens de l’efficacité, qui n’était absolument pas l’objet des précédents. Cependant, soyons clairs, vous ne risquez pas de confondre avec des inédits des Beatles, et si Spencer Krug fait ici de la pop, c’est probablement de la même façon que David Lynch a réalisé un blockbuster avec "Elephant Man".
Les morceaux sont résolument accrocheurs et dégagent une énergie rock, très tonifiante. Chaque morceau est un petit volcan. On a beau attendre les éruptions, elles arrivent toujours à nous surprendre. Spencer Krug manie l’art du dérapage contrôlé comme personne, et même s’il s’en défend, les morceaux finissent toujours par prendre une direction qu’on ne pouvait pas anticiper. Si la profusion sonore est toujours de mise, les mélodies sont plus entêtantes, plus faciles, et les arrangements prennent un peu moins l’oreille en otage. La voix de Camilla Wynne devient ici un nouvel ingrédient systématique dans l’harmonie d’ensemble, apportant sur chaque chanson un peu de légèreté, en contrepoids au timbre particulièrement fiévreux de Spencer Krug. Tout est plus séduisant, plus fougueux que fouilli, peut-être même trop propret pour les fans de la première heure, qui préféreront les constructions alambiquées des premiers Sunset Rubdown. Pour autant, c’est dans cette faculté de construire des morceaux terriblement efficaces avec un matériau si peu conventionnel que "Dragonslayer" dépasse de mon point de vue les précédents albums.
Logiquement, une seule paire d’oreilles devrait suffire pour écouter attentivement "Dragonslayer" d’un bout à l’autre, mais elle risque d’être bien occupée. Par la musique bien sûr, d’une densité très canadienne. Par les paroles aussi, titubant entre les visions poétiques de leur auteur, proches de l’absurde parfois, et l’imaginaire d’un univers peuplé de choses d’un autre temps, voire d’un autre monde (l’enfance peut-être ?). Ce qui donne parfois des vers très étonnants : "And I hope that you die in a decent pair of shoes" ou encore "When me and the boys were out, we killed a thousand butterflies"… On ne s’ennuie pas une seconde donc. Sauf peut-être quand la dernière chanson se termine, et qu’il faut revenir dans un monde où les dragons n’existent pas vraiment. Spencer Krug peut bien, avec une humilité d’ailleurs assez déconcertante, s’accuser d’être un mauvais parolier et regretter de n’avoir pas réussi à faire un disque "simplement" pop, son troisième album est un univers à lui seul. Et comme dans tout bon conte pour enfants, quand on a découvert la porte cachée qui y mène, on a toutes les peines du monde à faire chemin inverse.
Jean-Charles Dufeu
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