Voilà, la cinquième édition de la Villette Sonique est finie. Les amplis se sont tus, la foule du parc s’est dispersée. Place au calme après la tempête. Retour sur un bon cru.
Mercredi 27 mai, Grande Halle de la Villette
Men Without Pants
Bon, on ne va pas s’attarder sur le cas de Men Without Pants, disons simplement que Russel Simmins et Dan The Automator se sont bien mal entourés et les voir détruire à ce point leur talent avec ce sous rock garage de club de vacances est un spectacle vraiment triste. De toute évidence le public qui a progressivement déserté les lieux n’était pas venu pour eux. Heureusement qu’on pouvait passer le temps en contemplant le mur d’amplis qui attendait au fond de la scène en prévision d’un spectacle d’une toute autre nature …
Sunn O)))
La salle est à présent pleine et on sent monter une certaine tension alors que la sono passe une musique lugubre pour grandes orgues et qu’au milieu de la scène trône un effrayant mur d’amplis Sun (cinq bon mètres de long pour deux mètres cinquante de haut…). Alors que le groupe vient de sortir « Monoliths and Dimensions », son album le plus accessible, il choisit ce soir de jouer l’intégralité de « The Grimm Robe Demos », sa première œuvre, sortie en 1998 et qui est de loin la plus jusqu’au-boutiste car uniquement constituée de drones de guitares. Greg Anderson et Stephen O’Malley arrivent enfin, lèvent le poing en signe de salut et c’est parti pour plus d’une heure d’une expérience radicale et extrême.
Enveloppés dans leur robe de moine, têtes baissées et cachées par leur capuche, noyé dans un épais nuage de fumée, le duo enchaîne les riffs avec des gestes d’une lenteur incroyable dans un mystérieux rituel. Le volume est monstrueux, la masse sonore, faite de lourds grondements et d’infra-basses d’une puissance sidérante, envahit l’espace où tout se met à vibrer, de nos pieds à notre cervelet ! Il est quasiment impossible de décrire une telle expérience tant le duo chamboule tous nos repères en redéfinissant complètement la notion même d’un concert. La musique est extrêmement lente, d’une lourdeur rampante et finit par plonger la salle dans un état second. Sunn O))) maîtrise incroyablement son affaire, le son ne leur échappe jamais, ils le dominent, le sculptent littéralement. Comme à son habitude le groupe joue dans la pénombre, souvent à peine visible tant la fumée envahit la scène, ce qui donne à sa prestation des allures de cérémonie assez inquiétante. Sunn O))) a donné un concert absolument fascinant, ensorcelant et dantesque, son statut de formation la plus extrême du moment est totalement justifié et ça risque de durer longtemps.
The Jesus Lizard
Il faut pas mal de temps pour installer le prochain plateau, ce qui nous donne un peu de répit histoire de sortir du gouffre dans lequel Sunn O))) nous a enterrés. Une trêve qui tombe à pic, car ce qui suit, ce n’est pas de tout repos non plus.
C’est même une des grosses pointures du festival car The Jesus Lizard, un des premiers groupes signés sur le label Touch and Go, c’est ni plus ni moins que la matrice de toute la scène noise rock américaine. Onze ans après leur dernier concert parisien, les Américains ont visiblement gardé beaucoup de fans dans la capitale (moi le premier !).
C’est David Yow avec son éternelle dégaine de clochard qui donne le coup d’envoi : « Men Without Pants and Sunn O))) what a so fucking shit, I did a shit this morning which was better than these two fucking bands », deux secondes après cette poétique déclaration, il a déjà plongé tête la première dans le public. Ben oui c’est ça The Jesus Lizard, un groupe acéré, ultra efficace, une musique tendue à l’extrême, entre hardcore industriel et blues futuriste, menée par des instrumentistes exceptionnels (en particulier le guitariste Duane Denison, diplômé d’un conservatoire) et un chanteur-hurleur, incontrôlable, qui fait n’importe quoi ! Une vraie bête, qui passe plus de temps porté par le public que sur la scène et qui crache, transpire, se contorsionne, hurle de sa voix rauque des paroles incompréhensibles. Pour faire bref et en exagérant un tout petit peu, Iggy Pop à côté c’est Sliimy !
Les trois musiciens, Duane Dension, David Sims à la basse et Mac McNeilly à la batterie enchaînent avec une rigueur implacable tous les hits du groupe (« Bloody Mary », « Swim », « Monkey Trick », « Nub », « Seasick » etc … ) sans prêter la moindre attention à tonton Yoyow, qui lui enchaîne les plongeons dans la foule, dégage à coups de santiags dans le cul les stage divers qui envahissent la scène, se rue avec un regard lubrique particulièrement flippant sur les pauvres demoiselles qui viennent se trémousser à ses côtés et balance vers le public tout ce qui lui passe entre les mains (bien qu’à bonne distance de la scène, il s’en est fallu de peu qu’une cannette pleine lancée par le monstre ne vienne me fendre le crâne). The Jesus Lizard est en très grande forme et visiblement heureux d’être enfin de retour, ce qui fait vraiment plaisir à voir, on en oublierait presque tous les pénibles groupes de math-rock qui se réclament de ces quatre énergumènes.