EMILY LOIZEAU – Pays Sauvage
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Il y a peu, je vous parlais de la froideur qui ombrageait le pourtant honorable album des soeurs Pierces. Eh bien, ce deuxième opus de la charmante Emily Loizeau en est le contre-pied parfait. Contrairement aux Américaines, la Franco-anglaise ne se contente pas de nous conter de manière didactique la fantasmagorie de son "Pays sauvage", elle nous y plonge littéralement, sans spéculation aucune, et nous fait goûter à toutes ses petites saveurs salutaires, avec un naturel et une classe déconcertants. Emily est si proche de l’auditeur, qu’au contact de sa musique, l’heureux invité arrive, sans peine, à ressentir la caresse du vent qui chante entre les feuilles (c’en est presque inquiétant sur "Le Coeur d’un géant", spectral à souhait). D’ailleurs, lorsqu’il ouvre les yeux, déjà il a pris place aux côtés des saltimbanques, dans un coin feuillu du camp de fortune. Dans la seconde, les hôtes lui tendent un couvercle de casserole cabossé et un vieux bout de bois, et le convient à la fête. Ici, tout est choeurs et musique : les clapotis de l’eau qui ruisselle ; une branche qui craque ; le roucoulement d’un pigeon ; un pic-vert qui frappe un arbre ; un mouton qui bêle ; une flûte "pourrite" ; le tintement d’un clocher lointain ; le rire d’enfants qui jouent à l’orée du bois, et bien sûr, le champ des Loiseaux.
Et comme elle est née de "La Dernière Pluie", Emily qui s’était retirée le temps d’un "Songe" dans sa maison en Ardèche, en est revenue avec un magnifique essai folk-country moyenâgeux, profondément habité, qui sonne comme une oeuvre inaugurale, comme une fraîche première fois. Tout s’y goupille parfaitement avec, en filigrane, cette sensation qu’elle est le fruit d’une seule prise, vous savez, cet instant divin qui se consume irrémédiablement en même temps qu’il se coud, cet instant magique et juste qu’aucune répétition ne pourrait ravauder, une fois étiolé. Emily a fait fort, elle a su fixer ces moments hors du temps et nous les offrir comme un bout de terre vierge à explorer. Principalement en français, un peu en anglais aussi, elle tisse des tableaux où se côtoient "La Femme à barbe" et l’hideux crapaud charmant (qu’incarne l’insolite Thomas Fersen sur le fabuleux/fabulesque "The Princess and the Toad", ce qu’il coasse bien !). De cette voix que je situerais entre Pauline Croze (particulièrement sur "Ma maison", transformé en pépite inestimable par le violoncelliste et arrangeur Olivier Koundouno) et Françoiz Breut, elle se fait, à gros coups de métaphores, porte-parole de la bien singulière clique qui l’auréole. C’est ainsi que succèdent à l’extraordinaire Andrew Bird – qui avait apporté son soutien sur le premier album, mais dont on entend encore l’écho de cordes frottées et pincées ici et là -, David-Ivar Herman Düne (magnifique sur le très décalé "Coconut Madam"), Moriarty, ou encore Danyel Waro, éminent artiste réunionnais qui vient transcender, de sa voix chamanique, le "Dis-moi que toi tu ne pleures pas" pour finalement le clore en beauté sur un ardent maloya. D’accord Emily, je te dis que je ne pleure pas, mais seulement si tu m’en gribouilles vite un troisième comme celui-là.
David Vertessen
Pays sauvage
Fais battre ton tambour
Tell me That You Don’t Cry
Sister
La Dernière Pluie
Songes
Coconut Madam
La Femme à barbe
The Princess and the Toad
Ma maison
In Our Dreams
Dis-moi que toi tu ne pleures pas
Le Coeur d’un géant
La Photographie