JÓHANN JÓHANNSSON – Fordlândia
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Au rayon des musiques néoclassiques issues de la pop indie, Jóhann Jóhannsson vient peut-être d’abattre la carte maîtresse de son jeu, risquant de renvoyer à leurs partitions ses supposés adversaires, au hasard Wim Mertens, Craig Armstrong ou Max Richter. Après l’album-concept consacré au guide d’utilisation de l’IBM 1401 (vous constaterez la véracité du propos en allant lire la chronique dans ces mêmes pages), l’Islandais voit définitivement plus grand. "Fordlândia" s’inspire du projet utopique qu’a eu Henry Ford de construire une ville-plantation de caoutchouc en pleine forêt amazonienne dans les années 1920, en y transposant les normes de la vie américaine de l’époque, consommation de hamburgers et prohibition de l’alcool compris. Conçu comme une bande-son romantique sur les ruines de la civilisation rongée par la forêt, le disque évoque les atmosphères délétères des films de Werner Herzog, en particulier "Aguirre" et "Fitzcarraldo", mais le compositeur se réclame encore de Kenneth Anger ou Alejandro Jodorowsky. Un orchestre symphonique et un choeur classique ont été convoqués pour des sessions d’enregistrement à Prague ou à Reykjavik. Loin de noyer ses intentions musicales sous des flots d’instruments, Jóhannsson respecte les partis minimalistes qui sont souvent les siens : le premier morceau commence de façon quasi imperceptible, telle la symphonie n°3 de Górecki, et enfle lentement en boucles hypnotiques de cordes soutenues par des programmations rythmiques, avant que de légers effets de guitare et de voix n’interviennent, évoquant un peu les spirales de Sigur Rós. Les autres compositions prolongent le procédé de la boucle itérative en donnant la part belle, toute en nuance et en distinction, à un instrument qui joue un peu le rôle du protagoniste, piano, clarinette (Guðni Franzson), chœur, etc., tandis que les orchestrations fluent et refluent autour, décor mouvant qui menace toujours un peu la figure centrale. Lancinant, mélancolique, le disque est aussi l’oeuvre la plus accessible de son auteur, ce qui vaut en l’occurrence comme un vrai compliment, tant sa musique paraît aussi libre qu’accomplie.
David Larre
A lire également, sur Jóhann Jóhannsson :
la chronique de « IBM 1401, A User’s Manual » (2006)
Fordlândia
Melodia (i)
The Rocket Builder (Io PAN !)
Melodia (ii)
Fordlândia (Aerial View)
Melodia (iii)
Chimaerica
Melodia (iv)
The Great God Pan is Dead
Melodia (Guidelines for a Space Propulsion Device Based on Heim’s Quantum Theory)
How We Left Fordlândia