MATT ELLIOTT – Howling Songs
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Traçant son sillon loin des mass medias et rejetant toute étiquette, Matt Elliott est un de ces artisans travaillant dans l’ombre que l’on aime suivre disque après disque, certain que l’on est d’assister à la lente éclosion d’une oeuvre originale et personnelle, dont le temps ne pourra diminuer ni la force ni le propos. Le moins que l’on puisse dire est que le jeune musicien britannique frappe de nouveau très fort avec ce dixième album, troisième sous son propre nom, et dernier chapitre d’un tryptique entamé en 2005 avec "Drinking Songs", poursuivi l’année dernière avec le brillant "Failing Songs". Premier à avoir été enregistré et mixé en studio, "Howling" se révèle étrangement plus désordonné, enlevé et furieux que les précédents opus, selon une recette – ou plutôt une méthode – que l’on retrouve, à quelques exceptions, tout le long de l’album : d’abord de longs développements acoustiques, d’une grande subtilité, à renforts intelligents d’instruments à cordes, puis une trame mélodique soudainement brisée, violentée, qui s’accélère irrésistiblement à l’arrivée d’accords électriques sauvages, poussant l’auditeur au bord du gouffre, en pleine tragédie (l’incandescente "Bomb the Stock Exchange").
On ne trouvera ici guère de morceaux à quatre temps, de musique pentatonique, de mélodies à siffloter gaiement. On a beaucoup parlé à propos des disques précédents d’un mélange entre musique slave et latine. A raison : les ambiances de certains morceaux se révèlent en effet extrêmement proches des grands chants liturgiques russes, notamment le "Pokayania" de Grigori Lvovski ou le touchant "Vierouiou" d’Alexandre Gretchaninov. Rien d’étonnant à cela, Matt Elliott ayant fréquemment assisté dans sa jeunesse, accompagné de sa mère, aux longs et oniriques offices de l’église orthodoxe. Le même esprit est ici invoqué, de manière moins frappante certes, l’album étant à maints égards beaucoup plus brutal et farouche.
"Howling Songs" est une expérience forte en émotions, demandant l’investissement total de l’auditeur, au risque sinon de se perdre dans sa luxuriance et ses humeurs indécises. On se croirait dans une espèce de calèche lancée à toute vitesse sur des chemins de traverse au sol crevassé, faisant bringueballer ses passagers, les lançant tour à tour de portières à plafond, et grincer les roues dans un tumulte qui ne cesse que pour repartir plus fou encore. Le repos vient parfois, comme sur les superbes compositions que sont "How Much in Blood ?" et "Berlin & Risenthal". Si l’on devait rapprocher Matt Elliott d’un artiste fondamental, on le chercherait par exemple du côté de Current 93. Les deux semblent partager le même amour pour les compositions baroques.
Elliott sait aussi bien vociférer que sussurer, avec la même passion, et nous en fait la démonstration sur l’impressionnante fresque de onze minutes qui ouvre le disque, "The Kübler-Ross Model", ou encore pendant le requiem miniature qu’est la mémorable "I Name This Ship the Tragedy… ". Il peut également réduire le coeur en poudre, notamment sur "Song For a Failed Relationship", auquel chacun pourra s’identifier, superbe instrumental frôlant la perfection esthétique, qui suspend le temps pour un court moment avec son air de comptine pour marins cafardeux, regardant la terre s’éloigner sans savoir s’ils la reverront jamais, leur destin dépendant des augures de leur amante éternelle, la mer qu’ils chérissent autant qu’ils redoutent.
L’envoûtante pochette ne ment pas : l’atmosphère du disque est pesante, romantique, lugubre, sans être pour le moins pénible – le voyage est dur, émotionnellement riche et mouvementé. Pour ne rien gâcher, la production dans son ensemble est d’un admirable cachet, amicale, enthousiaste, triomphale – jamais tiède, la voix chaude et monotone de Matt Elliott, qui maîtrise d’ailleurs de mieux en mieux son organe, y étant pour beaucoup.
"Howling Songs", plein de panache, est un magnifique moment d’expressivité, et l’une des plus belles productions de l’année 2008.
Julian Flacelière
A lire également, sur Matt Elliott :
la chronique de « Failing Songs » (2006)
la chronique de « Drinking Songs » (2005)
The Kübler-Ross Model
Something About Ghosts
How Much in Blood ?
A Broken Flamenco
Berlin & Risenthal
I Name This Ship the Tragedy, Bless Her & All Who Sail With Her
The Howling Song
Song for a Failed Relationship
Bomb the Stock Exchange