THE FIREMAN – Electric Arguments
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Il y a deux types de réactions aux albums de Paul McCartney : les fans inconditionnels qui crient au génie dès qu’il sort une nouvelle chanson, et les autres qui estiment que sa carrière s’est arrêtée en avril 1970, lorsque la fabuleuse aventure des Beatles prit fin. On note finalement assez peu de réactions intermédiaires, alors que, selon moi, c’est en sachant rester à peu près objectif vis-à-vis de son travail que l’on arrive à véritablement le pousser à donner le meilleur de lui-même, à savoir le meilleur de la pop. Car le dilemme est là : critiquer Paul McCartney revient à critiquer une des clés de voûte de la pop moderne, un personnage qui, directement ou indirectement, a conditionné toute une évolution musicale, esthétique et sociale. Lennon et lui ont placé la barre tellement haut qu’il est en effet dur à admettre que, sur certains disques, Macca ne soit pas à la hauteur de ce passé si présent. La pression est telle que McCartney décompresse parfois en enregistrant sous des pseudos des albums moins accessibles et plus aventureux. C’est ainsi que naquit The Fireman, combo composé de Paul et de Martin "Youth" Glover (bassiste de Killing Joke), et conçu initialement comme un projet de musique principalement instrumentale, électronique et ambient. Il en résulta deux albums en 1993 et 1998, qui lorgnaient effectivement vers les rivages de l’électro. L’occasion de rappeler que McCartney fut un des premiers à s’intéresser aux musiques électroniques, contemporaines et concrètes dès la seconde moitié des années 60. Pour ce troisième album de The Fireman, Sir Paul se place dans une situation de transition : si l’album reste effectivement beaucoup plus expérimental qu’un album de pop tel qu’il sait les faire, on sent néanmoins le génie mélodique apparaître très fréquemment au cours de ce "Electric Arguments", qui se révèle être un très grand album, porté par la production mirifique du sorcier Youth. Les musiques électroniques et expérimentales sont encore bien présentes ici : "Lovers in a Dream", proche des morceaux de The Orbital ou Carl Craig, ou "Universal Here, Everlasting Now", titre quasi-instrumental qui s’ouvre sur des circonvolutions orientales et part dans une rythmique effrénée pour se terminer sur quelques gouttes de piano tombant sur l’auditeur comme dans un morceau d’Erik Satie. "Is This Love?" largue les amarres vers l’orient et les contrées indiennes et réveille les fantômes de 1968. Le morceau caché qui clôt l’album reste, quant à lui, une pièce purement ambient, dans le droit prolongement des deux premiers albums de The Fireman.
Mais Paul diversifie les styles musicaux et développe une palette vocale aussi variée que dans "Ram" : blues et éraillée sur "Nothing Too Much Out of Sight", morceau zeppelien dantesque avec sa rythmique lourde et sa basse fuzz fabuleuse (cette basse mélodique et ronde qui a fait fantasmer des générations entières) ; pop et gorgée d’écho sur "Sing the Changes" ; douce et feutrée sur "Travelling Light", un titre onirique et qui sonne comme certains morceaux de son ami Donovan. Du rock saignant "Highway" à la country "Light from Your Lighthouse", de la pop floydienne de "Sun is Shining" au fabuleux final "Don’t Stop Running", qui mélange les styles musicaux et les transcende, en passant par le spectorien "Dance ‘Til We’re High" ; Paul McCartney vient de signer un des albums les plus aboutis de sa carrière solo. A 66 ans, jouant de tous les instruments, déchirant sa voix comme il sait le faire, mettant ses tripes sur la table, il vient de nous démontrer qu’il était encore le grand patron. Album de l’année.
Frédéric Antona
Nothing Too Much Out of Sight
Two Magpies
Sing the Changes
Travelling Light
Highway
Light from Your Lighthouse
Sun is Shining
Dance ‘Til We’re High
Lifelong Passion
Is This Love?
Lovers in a Dream
Universal Here, Everlasting Now
Don’t Stop Running