Dans son quatrième numéro, le fanzine Scream City revenait sur la référence n°2 du catalogue du label Factory Records, le mythique double-vinyle sorti en décembre 1978 et comportant deux titres de Joy Division, de The Durutti Column, trois de John Dowie et deux de Cabaret Voltaire. A cette occasion, Phil Cleaver, l’homme derrière le label Kooky Records, qui sort les nouveaux disques de The Durutti Column, eut le privilège de s’entretenir avec Vini Reilly à ce propos. Toujours un peu vexé du double lapin que nous avait infligé le Mancunien en 2005 lors de son dernier passage à Paris, nous avons demandé à John Cooper, rédacteur en chef du fanzine Scream City (et également auteur du blog consacré à Factory, Cerysmatic Factory) la permission de publier cette interview… Dont voici ici la traduction…
L’une des particularités de Factory Records, qui rend ce label unique, encore aujourd’hui, vient de la part belle laissée à l’art et au design. Non seulement, cela se ressentait dans la musique, mais aussi dans tout ce qui était lié au label et à sa ligne directrice (s’il y en avait une), ce qui ne s’arrêtait pas aux pochettes de disques, aux concerts organisés par le label et à ce qu’on considère comme du matériel promo. Ce qui est assez ironique, c’est que pendant longtemps, le label n’a pas cherché à faire parler de lui, ce qui ne l’a pas empêché d’attirer l’attention par la suite.
C’est ainsi que la sortie du premier vinyle FAC-2, « A Factory Sample », avait suivi ce principe. Il ne s’agissait en effet pas uniquement de sortir la musique de quatre groupes ; d’ailleurs, la présence de John Dowie sur cette compilation servait peut-être à justifier que c’était tout autant un objet d’art qu’un disque.
Il est difficile de savoir comment le label considérait cette sortie en 1978, quel résultat il pensait obtenir en sortant son premier vinyle, quelle était sa préoccupation quant au choix de la pochette, quelle relation il allait développer avec ces groupes et ce que l’avenir lui réserverait.
J’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir avec Vini Reilly de The Durutti Column au sujet de cette sortie, mais aussi des autres artistes figurant sur la compilation et d’obtenir son avis presque trente ans plus tard.
Phil « Kooky » Cleaver : A propos de Factory et John Dowie, c’était l’idée de qui ?
Vini Reilly : C’est Factory qui a décidé d’inclure John Dowie. Il n’était pas aussi célèbre que John Cooper Clarke à Manchester, mais je crois que Tony voulait faire appel à un poète, et au lieu de choisir le plus connu (soit, John Cooper Clarke), Tony a décidé de faire appel à John Dowie, un parfait inconnu, dont personne n’avait jamais entendu parler.
Toutefois, c’est parce qu’il savait manier les mots et que sa poésie était très différente que Factory l’a choisi. J’ai rencontré John Dowie il y a environ 6 mois à un de mes concerts, et je crois qu’il connaissait aussi plutôt bien Bruce Mitchell, longtemps avant que je ne le rencontre. C’est un type vraiment chouette et quelqu’un de très intelligent.
PKC : Alors pourquoi Factory a fait appel à quelqu’un comme John Dowie qui n’était pas musicien ? Pourquoi Factory voulait qu’il apparaisse sur une compilation, et la première du label de surcroît ?
VR : Parce que Tony visualisait cette première sortie de la même manière qu’il concevait Factory, il ne considérait pas Factory comme un label, pas le moins du monde. Il ne l’a jamais considéré comme tel, pour lui, c’était plutôt un produit et en tant que tel, tout ce qui y était lié se devait d’être original, un tantinet haut en couleur et surprenant. De même, on ne s’attendrait pas à ce que pour la première sortie d’un label indépendant, on décide d’opter pour ce type de pochette totalement obscure.
Il y a de sombres références à l’Internationale Situationniste et à ce type de mouvements, alors je crois que ce qui lui a permis de faire ce choix, c’était la présence de Joy Division, parce qu’il s’agissait d’un vrai groupe, un groupe qu’on prenait au sérieux. S’ils avaient continué, si on n’avait pas perdu Ian, ils auraient pu devenir aussi célèbres que U2. Ils étaient extraordinaires. On gagnait en crédibilité grâce à Joy Division, ce qui lui permettait de se dire : « Bon, quel groupe va-t-on pouvoir ajouter qui soit tellement excentrique que personne n’aurait osé faire appel à eux ? » Et à cette époque, Durutti Column était assez étrange.
J’ai dû beaucoup batailler pour que ma musique soit jouée par ces musiciens qui pensaient surtout à la frime liée au fait d’être signé sur un nouveau label. J’ai dû lutter. C’était un enregistrement très étrange pour le groupe et le résultat était tout aussi étrange. Alors avoir un poète sur la compilation… Il y avait quel autre groupe, je ne me souviens plus ?
PKC : Cabaret Voltaire.
VR : Ah oui, c’était légèrement électro et un peu pop, enfin, dans ce genre-là.
PKC : Ils venaient de la même scène musicale de Sheffield, un peu comme les premiers Human League.
VR : Oui, mais avec un côté plus tortueux. Vous voyez, on ne se disait pas qu’on allait enregistrer un disque, mais plutôt qu’on allait créer une oeuvre d’art ; ce n’était pas simplement de la musique. On voulait faire un objet que les gens auraient envie de conserver. Je connais d’ailleurs des gens qui l’ont encore.