COLDPLAY – Prospekt’s March
(Capitol / EMI) [site] – acheter ce disque
Quelques mois après un nouvel album beaucoup plus subtil et innovant qu’il en donne l’air, la poule aux oeufs d’or d’EMI revient avec un EP beaucoup trop inégal et bas de plancher pour réellement convaincre, y compris un admirateur de la première heure tel que moi. Composé de chansons enregistrées lors des sessions de "Viva La Vida", sous la houlette de Brian Eno, "Prospekt’s March" débute pourtant d’agréable manière, avec un "Life In Technicolor II" reprenant l’irrésistible tempo du titre d’ouverture du dernier album. Si l’atmosphère rappelle énormément les fulgurances du U2 du milieu des années 80, notamment le mémorable "The Unforgettable Fire", ce n’est qu’une question de couleurs. Les différences sont de taille à condition d’être attentif. La patte d’Eno demeure aisément reconnaissable, sa production précise et singulière apportant un souffle, une fraîcheur et une folie que Coldplay avait dramatiquement perdus en chemin. Thématiquement, la chanson ne dépaysera pas les aficionados : Chris Martin demande l’aide d’une figure féminine, que l’on sent mythique et absente, désir désespéré de transcendance, espoir d’un miracle à l’aube d’une catastrophe que le narrateur considère comme imminente. Si le chanteur avait autrefois une fâcheuse tendance à en faire des tonnes et l’art de ruiner des propos pas nécessairement quelconques, il semble parvenir aujourd’hui à un sain équilibre et à y insuffler davantage de relief. Suit un bref et fort élégant instrumental au piano, "Postcards From Far Away", au potentiel tellement énorme que l’on se demande pourquoi le groupe n’en a pas fait un véritable titre, d’autant que l’utilisation du clavier y est largement plus complexe et intéressante qu’à leur habitude.
Le morceau suivant, "Glass of Water", rappelle un peu trop les catastrophiques errements de "X & Y" : massif, sur-produit, trop Coldplay finalement, malgré un refrain classieux et une ambiance générale qui ne manque pas d’attrait. On retrouve donc le péché récurrent de la bande : gâcher des titres intéressants, pleins de bonnes idées, musicalement excellents en les plombant avec des grattes tapageuses et un traitement sonore excessif doublé de quelques facilités. On se rassure quelque peu avec la dansante et entraînante "Rainy Day" : rythmique à la Talking Heads, simple et remarquable partie de cordes, structure à tiroirs qui, il y a encore 35 ans, aurait fait l’unanimité. La ballade de saison s’appelle "Prospekt’s March/Poppy Fields". Tout à fait agréable, pas inintéressante, mais d’un classicisme éculé et, à considérer la récente émancipation du groupe, pratiquement un pas en arrière. On passera sur les absolument inutiles faux remix de "Lost" et "Lovers In Japan", n’apportant rien de rien à ces deux titres qui, vraiment, ne méritaient pas d’être traités par-dessus la jambe. Le rap de Jay-Z sur "Lost +", dénué d’invention, tombe comme une perruque de cheveux gras dans ce raffiné potage. Heureusement, l’EP s’achève sur la belle "Now My Feet Won’t Touch the Ground", croisement spirituel entre l’hidden track de leur premier LP et la magnifique "Till Kingdom Come", écrite à l’intention de Johnny Cash et présente sur le très médiocre troisième LP : mélodie up-tempo jouée à la guitare acoustique, sans ostentation dans un premier temps, rejointe ensuite par des loops au clavier, donnant au titre un tour atmosphérique pas désagréable, et une simili-orchestration aux cuivres assez vertueuse pour ne pas gâcher la trame intimiste de la chanson.
Malgré tous ses défauts et ses irrégularités, "Prospekt’s March" a au moins le mérite de démontrer que Coldplay est loin d’être un groupe de pop sans imagination, ainsi que certains voudraient nous le faire croire, et s’aventure tout de même sur des chemins, certes balisés, mais infinement plus ambitieux que ceux empruntés par bon nombre de leurs contemporains. Bien que, pour le coup, l’ensemble n’ait rien d’exceptionnel et se révèle poussif à bien des niveaux.
Julian Flacelière
A lire également, sur Coldplay :
la chronique de « X&Y » (2005)
la chronique de « A Rush of Blood to the Head » (2002)
Life in Technicolor II
Postcards From Far Away
Glass of Water
Rainy Day
Prospekt’s March/Poppy Fields
Lost +
Lovers in Japan (Osaka Sun Mix)
Now My Feet Won’t Touch the Ground