PIT ER PAT – High Time
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Deux premiers albums confidentiels et une prestation ratée au Batofar il y a deux ans, c’est à peu près les seules lignes de CV que je connaisse de Pit er Pat, trio originaire de Chicago qui mérite beaucoup mieux qu’un entrefilet. Epaulé par John McEntire (Tortoise), la précédente œuvre du groupe révélait une âme rock tourmentée par les démons du jazz et un goût pour les ambiances crépusculaires tout en chausse-trapes mélodiques. Bonne nouvelle, cet esprit fiévreux guide toujours l’inspiration de ces doux dingues dont les élucubrations musicales s’enrichissent d’une nouvelle ambition en matière d’arrangements et de textures sonores. Affranchi d’un producteur gourou, le groupe s’est recentré sur lui-même, enregistrant dans son propre studio et confiant les clés de la production à son batteur Butchy Fuego. Il en résulte une liberté d’exploration en dehors des formats et toujours au bord du précipice.
En apparence, "High Time" révèle la même impression de confusion mentale et d’approximation musicale (feinte ?) que ses prédécesseurs. Des bribes de mélodies pop jaillissant au milieu de jam-sessions, des sonorités aquatiques captées au fond d’une piscine, un goût prononcé pour les dissonances et un chant angoissé. C’est de cet équilibre précaire, ce vertige des sens, que Pit Er Pat parvient à tirer sa force donnant naissance à des chansons fébriles comme "Anno IVxx" ou "Evacuations Days". Sans parler de "Coppers Pennies", le titre le plus intentionnellement catchy du disque, croisant le reggae mal assuré de Slits et les voix geignardes des Blonde Redhead. Le groupe aurait pu en rester là, rejouer "Pyramids" et tourner en rond dans son bocal. Heureusement, il a eu l’idée d’utiliser des cuivres ("My Darkers", "Omen") et tout un arsenal de percussions africaines parant son disque de grigris à la beauté païenne effrayante. Après une entame plus "classique", le disque amorce un virage exotique radical. Voici l’auditeur plongé en pleine jungle tropicale au milieu des cris d’oiseaux, propulsé dans un train fantôme mexicain ("The Cairo Shuffle"), marabouté par des percussions tribales ("Creation Stepper", "Trod-A-Long")… Où est le sentier pop bien balisé ? Déjà loin ! Il lui faudra plusieurs jours de marche ou de pirogue pour le retrouver sans compter sur l’aide de ses amis pour lui indiquer le chemin. Ce "High Time" dérive drôlement, emporté par le courant d’une inspiration foisonnante et parfois brouillonne, sans parvenir toutefois à dissiper un soupçon : en rajouter sciemment dans le beau-bizarre pour faire genre !
Luc Taramini
A lire également, sur Pit er Pat :
la chronique de « Pyramids » (2006)
O In Vs : D In Y : Anno IVxx
Evacuation Days
Omen
My Darkers
Copper Pennies
The Cairo Shuffle
Creation Stepper
Trod-A-Long
The Good Morning Song