EMILIANA TORRINI – Me And Armini
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Étonnante artiste que cette Islandaise : auteur d’un premier album aux influences trip-hop en 1999 ("Love in a Time of Science"), elle laissait déjà apparaître un énorme potentiel. Mais, manque de pot, les similitudes avec l’univers musical de son éminente compatriote la desservent et la relèguent vite dans la catégorie des sous-produits Björk. Petitesse d’esprit que de porter un jugement aussi réducteur. À la décharge des détracteurs, c’est vrai que la ressemblance était parfois troublante, et qu’il est plus aisé d’affirmer le talent de la belle, maintenant qu’elle a trouvé ses marques. En 2005, elle s’extirpe de l’ombre glaciale dans laquelle on l’avait consignée en opérant, de maîtresse manière, un revirement pop-folk acoustique classieux. Elle nous livre l’honorable "Fisherman’s Women" qui met au grand jour un nouveau pan de l’éventail de ses possibilités, lesquelles prennent enfin le dessus sur le rapprochement avec Björk.
Et aujourd’hui, voici qu’elle nous échafaude, tout en légèreté, ce splendide "Me and Armini". Plus éclectique que jamais, ce troisième opus est le fruit choyé de la décontraction maîtrisée. Il est doux et sucré. On sent que la douce n’a pas cherché à forcer la composition, préférant davantage laisser la musique s’offrir tous azimuts à elle, plutôt que de lui courir après. L’atmosphère y est donc particulièrement conviviale, de sorte que s’en délecter ne nécessite aucune initiation préalable. Mais accessibilité ne rime pas pour autant avec monotonie. Admirablement auréolée par son fidèle complice et producteur Dan Carey, Emiliana, allergique à l’immobilisme, se laisse emporter par tout ce qui lui passe par la tête, et n’hésite pas à se frotter aux styles les plus divers : le morceau inaugural s’articule autour d’une guitare chaude à la Jack Johnson sur laquelle se pose la voix gracile de la demoiselle, et lorsque vient l’heure du refrain, il est difficile de penser à autre chose qu’à un feu de camp à la lueur de la Lune. Le morceau éponyme, avec sa rythmique chaloupée, emprunte quant à lui les sentiers du reggae jusqu’à l’orée d’une ballade planante de six minutes qui répond au doux nom de "Birds". Ca commence avec la guitare de Dan et la voix ensorcelante d’Emiliana, ensuite un piano saupoudre quelques notes ici et là ; progressivement le morceau s’intensifie et ne fait plus qu’un avec cette voix doublée par ses propres cœurs machinés. Se fichant éperdument de l’état groggy dans lequel elle nous plonge, Emiliana bascule sans transition dans un nouvel univers ("Heard It All Before"), fait de claviers sibyllins à la Portishead (qui aurait mangé du clown), de claquements de mains, de guitares gentiment délurées, et de cette voix toujours aussi nourrissante. Comme il faudrait plus d’une colonne pour faire le tour de ces douze individualités, je me contenterai de mettre l’accent sur le dénominateur commun qui les relie, à savoir la sobriété et l’intelligence de la production qui a compris que les compositions n’avaient nuls autres besoins que leurs qualités intrinsèques pour exister. Le résultat est jouissif, équilibré et finalement très cohérent. Pas de doute, avec "Me and Armini", Emiliana a fait le "Big Jump". Et comme dirait Georges : c’est "magnifico".
David Vertessen
A lire également, sur Emiliana Torrini :
la chronique de "Sunny Road" (2005)
la chronique de "To Be Free" (1999)
Fireheads
Me and Armini
Birds
Heard It All Before
Ha Ha
Big Jumps
Jungle Drum
Hold Heart
Gun
Beggars Prayer
Dead Duck
Bleeder