Si, il y a encore cinq ans, on nous avait dit que nous allions interviewer un jour Kim Fahy pour un nouvel album des Mabuses, nous n’y aurions sans doute pas cru. Certes, d’une émission nocturne d’Arte aux crédits de divers albums (dont le « Plus de sucre » de notre Jipé Nataf national), sa tête ou son nom refaisaient surface de temps à autre, mais le Londonien au béret semblait se satisfaire de ce statut d’homme de l’ombre, et l’on pensait que les deux albums de son vrai-faux groupe (le génial « The Mabuses » en 1991 et le moins génial mais intéressant « The Melbourne Method » en 1994) resteraient à jamais sans suite. Et puis, début 2008, divine surprise : un troisième disque autoproduit et sans doute longuement mijoté, « Mabused! », s’annonce. On y retrouve à peu près tout ce qu’on aimait chez les Mabuses (ces mélodies à la fois bizarres et accrocheuses dignes des meilleurs orfèvres pop, cette voix drôlement sinistre ou sinistrement drôle, ces textes grinçants), dans des arrangements encore plus imaginatifs que par le passé. Voilà de quoi motiver une rencontre avec Kim Fahy, parfait gentleman au ton posé, parlant français mieux que beaucoup de Français (vous saurez pourquoi en lisant l’entretien), qui reçoit dans un salon de thé chic et design de la rue de Seine, dans le sixième arrondissement.
L’album précédent des Mabuses date de 1994. Qu’est-ce que tu as fait pendant tout ce temps ?
(Il éclate de rire) D’abord, j’ai terminé une licence de philosophie, à Londres. J’ai aussi beaucoup voyagé. Et puis j’ai continué à faire de la musique à travers diverses collaborations entre l’Angleterre, la France et les Etats-Unis. Au fond, ce qui explique un si long silence avec les Mabuses, c’est peut-être mon perfectionnisme…
Où as-tu passé toutes ces années ?
Un peu en France, mais j’étais surtout entre Londres et New York. Je suis resté à Brooklyn le plus gros de l’année dernière, mais sinon, j’habite Londres.
Quels sont tes liens avec la France ?
J’ai passé une partie de mon enfance et de mon adolescence à Nice et j’ai de très bons amis en France, principalement à Paris. J’ai aussi enregistré un peu au conservatoire de Paris. J’ai un grand attachement pour la France… Bon, avec quelques réserves parfois ! (rires)
A Paris, tu as notamment travaillé avec Jean Dindinaud, alias Le Professeur Inlassable, dont le studio est à deux pas d’ici. Tu as participé à l’album avec Bibi Tanga paru l’année dernière ?
Très peu. J’ai dû juste jouer une ou deux parties de guitare. J’avais surtout contribué à « La Leçon n° 1 du Professeur Inlassable », sorti il y a assez longtemps. Nous avons aussi en projet de faire un album tous les deux, il est déjà prêt à moitié.
Tu as aussi enregistré un album des Mabuses resté inédit, « Gobbledigook » (« charabia », en français), mais dont on retrouve plusieurs titres sur « Mabused! », parfois réarrangés ou portant des titres différents.
Je suis content qu’il ne soit pas sorti car je n’en étais pas totalement satisfait. Mais il y a dessus quelques morceaux que j’aimerais bien reprendre, comme « The Curse », j’y repensais justement il y a peu.
Peut-on dire qu’aujourd’hui les Mabuses sont un vrai groupe ?
En fait, contrairement à l’impression qu’on peut avoir, je crois que ça a toujours été le cas. Chris Wilson et Jamie Harley étaient déjà là sur les deux premiers albums, comme le guitariste John Carruthers qui a beaucoup plus contribué à « Mabused! ». Et sur ce disque, nous avions des éléments de formation classique pour certains morceaux. Tous les Mabuses apparaissent sur le photomontage de la pochette, y compris les amis qui ne savent pas qu’ils sont des Mabuses ! (rires) Il y a même mon fils Marlon.
Ton style a évolué, avec des samples de blues et des ambiances de cabaret, de music-hall, voire de musique de chambre.
Je pense qu’il n’y avait pas chez moi une intention consciente de faire quelque chose de différent, c’est venu comme ça. Il fallait vraiment que ce soit au service des chansons.
Tu as un peu tâtonné pour les arrangements ?
Ça dépend des titres. Le plus souvent, j’ai une idée très nette de ce que je veux entendre. Qu’ensuite j’y parvienne ou pas, c’est une autre question… Mais généralement j’ai déjà quelque chose en tête. Après, il y a une autre approche qui est beaucoup plus spontanée, consistant à garder les accidents et à les systématiser. Ça, j’aime beaucoup. Au final, c’est un peu un mélange des deux, essayer de parvenir à travers des accidents au résultat que je m’étais fixé. D’où, sans doute, l’aspect un peu bizarre et dissonant que peuvent avoir les chansons.