SPECK MOUNTAIN – Summer Above
(Peacefrog / Discograph) [site] – acheter ce disque
C’était vers le milieu des années 90. Sortie de la vague shoegazer, l’Angleterre retournait à un songwriting plus traditionnel avec la Britpop. Pour les sonorités éthérées et les tempos ralentis, il fallait désormais aller de l’autre côté de l’Atlantique, où tout un tas de groupes s’étaient mis à déchanter superbement. La plupart oeuvraient dans le fog de San Francisco (Red House Painters, Idaho, Mazzy Star, Spain, American Music Club, Radar Bros…), certains à New York (Elysian Fields), d’autres entre les deux (Low). Les membres de Speck Mountain nous excuseront de les vieillir d’au moins douze ans, mais leur magnifique premier album, "Summer Above", renvoie dès les premières écoutes à cette époque bénie, même si telle n’était sans doute pas leur intention. Le long et reptilien "Girl Out West" pourrait même passer pour un inédit d’Elysian Fields, tant les inflexions vocales de Marie-Claire Balabanian sont proches de celles de Jennifer Charles (le son, tout en spirales psychédéliques, rappelle aussi énormément Mazzy Star). C’est dire à quelle hauteur plane ce trio des confins de Brooklyn, désormais installé à Chicago, et signé sur le label londonien et pointu Peacefrog (Nouvelle Vague, José Gonzalez…).
Fruit d’une longue gestation, le disque, autoproduit, a été enregistré entre 2005 et 2006 à New York et Chicago. Certaines parties ont été couchées sur bande dans un studio de doublage cinéma en dehors des heures d’ouverture, entre minuit et six heures du matin. D’où l’atmosphère nocturne, voire somnambulique, qui se dégage de ces huit morceaux de dream pop pris dans l’écho, joués par des musiciens qui semblent lutter contre l’engourdissement. Mais comme chez Spiritualized ou Galaxie 500 (à qui l’on pense aussi, entre autres enfants du Velvet), nul délayage complaisant ici : enluminées d’orgue ou de saxophone, les chansons sont méticuleusement composées et toujours habitées par une tension palpable, Speck Mountain réussissant à captiver même quand sa musique semble faire du surplace ("Fjord Song", logiquement étale). Voilà un groupe qui joue superbement sur le temps, l’espace, mais aussi, à l’heure du MP3 et de ses fréquences écrêtées, sur une certaine densité du son – un grain, si l’on veut tenter une analogie avec la photo ou le cinéma. Ce "Summer Above" qui passera facilement l’été est d’ores et déjà l’une des plus belles découvertes de l’année.
Vincent Arquillière
Summer Above
Hey Moon
Girl Out West
Midnight Sun
Stockholm
Fjord Song
Chlorine Fields
Blood Is Clean