V/A – La France (Chansons)
(Third Side Records) – acheter ce disque
Après « Apocalypse Now » et son fameux ballet d’hélicoptères wagnériens, la musique de films de guerre ne pouvait plus se contenter de faire tapisserie. Serge Bozon (qui, dans son précédent film, « Mods », mêlait déjà le romanesque du XIXe siècle avec la musique garage des années 70) redéfinit près de vingt ans après Coppola la notion de « BO transgenre » : dans son film « La France », des hommes sur le front chantent en 1917 des chansons de femmes (déguisées en hommes) qui auraient été écrites en 1967. Ce projet a priori tordu relève pourtant de l’évidence : la musique populaire et les guerres en tout genre (de Woodstock au Live 8) se sont toujours mutuellement inspirées. La BO de « La France » n’en est pas pour autant un disque engagé. En confiant la composition des chansons à Fugu et Benjamin Esdraffo, c’est plutôt la légèreté et l’insouciance des années 60 que Bozon a choisies pour faire écho à la tragédie de la guerre. Les Poilus y entament en son direct et avec des instruments fabriqués de toutes pièces des chansons naïves et touchantes, variations sur un même thème qui racontent toutes la quête du personnage principal. La répétition obsessive du même refrain à travers des titres comme « L’Allemagne », « L’Italie » ou « La Pologne » fait se répondre les personnages comme dans les films de Jacques Demy. L’ombre de Michel Legrand continue donc de planer sur le cinéma français, mais contrairement à la BO des « Chansons d’Amour », le chant raffiné et hésitant des soldats fait ici plus penser aux troubadours rohmériens qu’au Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles.
Des pépites méconnues de la Sunshine Pop anglo-saxonne de la fin des années 60 viennent compléter cette BO atypique. Là où l’on s’attendait à des classiques des Beach Boys et de McCartney, Bozon continue de surprendre en dénichant des tubes irrésistibles, comme ce « Glasshouse Green Splinter Red » des Kinsmen ou le classique instantané « Gospel Lane » de Robbie Curtice et Tom Payne.
Sommet mélodique et donc mélancolique, ce disque étrange allie le désespoir avec l’élégance et la légèreté. Sorti de son contexte, il fera toutefois lever plus d’un sourcil déconcerté.
Christophe Patris
Fugu – L’Allemagne
The Kinsmen – Glasshouse Green Splinter Red
Extrait du film – L’Angleterre
Peter & The Wolves – Little Girl Lost & Found
Extrait du film – L’Italie
John Pantry – Red Chalk Hill
Extrait du film – L’Allemagne
John Pantry – Smokey Wood
Extrait du film – La Pologne
John Pantry – Upside Down
Fugu & Esdraffo – L’Angleterre (démo)
Robbie Curtice & Tom Payne – Gospel Lane
Sylvie Testud – L’Italie