ZEITKRATZER – Metal Machine Music
(Asphodel) [site]
"Metal Machine Music" est un disque incontournable. Un repère dans l’histoire de la musique au delà du rock. Incontournable mais inécoutable. Lou Reed lui-même met en garde dans les notes de pochettes : "je ne connais personne qui ait écouté ce disque en entier, même pas moi. Il n’est pas fait pour ça". Lou Reed, dans un éclair de génie nihiliste, a inventé la musique qui ne s’écoute pas. Mais qui aura une influence considérable. Ce disque, enregistré en 1975 par un Lou Reed alors en pleine déchéance suicidaire, se compose de quatre longues plages de bruit, de feedback, il joue autant de l’ampli, des pédales d’effets que des guitares. Des sons enragés, désespérés, Futuristes (à la manière de Luigi Russolo et ses comparses) pour une politique de la terre brûlée, histoire de se débarrasser de vingt ans de pop music pour laisser place à autre chose. La première chose sera le punk et après suivra la musique industrielle.
Bien entendu, ce disque est une malédiction absolue pour Lou : certains fans le menacent de mort, d’autres portent plainte. Pour mettre fin au scandale RCA, la chanceuse maison de disques le retire des bacs et lui réclame 60 000 $.
Il faudra atteindre les années 2000 pour qu’on reparle de ce disque à l’occasion de sa réédition.
Et même si, entre-temps, le bruit s’est fait une place dans la musique dite Pop, on ne peut pas dire que les choses se soient calmées. Parmi les exégètes le débat n’en finit pas : énorme escroquerie ou disque de pure avant-garde ?
La réponse viendra peut être avec ce disque qui est l’enregistrement live de "Metal Machine Music" joué par les Allemands de Zeitkratzer, un ensemble de musique de chambre composé de onze musiciens et dirigé par Reinhold Friedl. Zeitkratzer a couché sur trente-quatre pages de portées les griffures soniques de Lou Reed.
Le groupe rejoue pour cordes, cuivres, accordéon, piano, percussions et guitare (Lou Reed himself pour le final), une des musiques les plus indomptables qui soient.
Pour couronner le tout, l’événement a été enregistré à Berlin, écrin de béton de toute une mythologie bruitiste. Au début, la version orchestrale semble assez proche de l’originale. Un bloc monolithique terrifiant puis la musique devient presque subtile dans sa construction.
Le relief inexistant dans la version originale est présent ici, chaque section ayant à jouer sa partie de bruit. Les cordes et les cuivres ultra saturés s’attaquent au feedback, les percussions s’occupent des ronflements et gémissements de l’ampli, après, c’est plus difficile à décrire.
Dans ce magma surgissent des interventions, des micro-mélodies naïves et les fameuses citations, que l’on avait bien du mal à distinguer dans la version originale.
Chose étonnante, la version de Zeitkratzer ne compte que trois plages. Ces Allemands pas complètement fous ont dû se souvenir de l’avertissement de Lou Reed "quiconque est capable d’écouter ce disque jusqu’à la quatrième plage est encore plus malade que moi" !
Zeitkratzer nous permet d’entrevoir ce que Lou Reed avait en tête lors de l’enregistrement de cette musique, mais que les moyens à sa disposition ainsi que la folie ne lui permirent pas d’exprimer.
Un disque fascinant, qui ne sera jamais ou si peu écouté et qui partage avec son modèle maudit la même arrogance d’exister.
Cyril Lacaud
1- Part One
2- Part Two
3- Part Three