BUSDRIVER – Caen, Nördik Impakt, 18/11/2006
C’est la 8ème édition de "Nördik Impakt" à Caen. Et depuis ses premiers pas, sans s’écarter pour autant de sa base techno et électronique, le festival n’a cessé de se diversifier. Cette année, la semaine de concerts, de DJ sets et d’événements s’est dotée d’une coloration hip hop notable. Mercredi 15, c’est ni plus ni moins que DJ Premier qui a ouvert les hostilités au Zénith de Caen. La veille, à titre de before, avait été projeté le film "Awesome! Fuckin’ Shot That!" des Beastie Boys en l’amphithéâtre Pierre Daure de l’Université. Un peu plus tard, le vendredi, a été donnée une représentation du Hamlet hip hop de David Gauchard, avec Robert le Magnifique, Abstrackt Keal Agram et Arm de Psykick Lyrikah. Et pour la soirée de clôture du samedi, nous avons eu droit notamment aux prestations de Birdy Nam Nam et de ce bon vieux Busdriver.
C’est d’ailleurs au hip hop qu’est réservé le privilège d’ouvrir cette nuit qui devait se poursuivre jusqu’à 9 H du matin, avec Liléa Narrative. Et c’est une première bonne surprise. Pour bien commencer cette soirée, le Français nous sert un rap électronique accrocheur où, à défaut de les voir, nous entendons s’exprimer les MCs qu’il a invités pour son premier album, parmi lesquels une vieille connaissance, Tes. Et cela fonctionne très bien. Le public, encore clairsemé à cette heure, semble acquiescer. Il est juste dommage de voir apparaître déjà l’éternelle cohorte de fraggles à barbiches, dreadlocks sales et bonnets bariolés, bourrés au dernier degré avant même que le spectacle ait commencé, complètement déconnectés, criant et dansant comme des pantins à des moments où la musique ne le demande même pas. Fort heureusement, le Caennais que je suis observe que ces plaies sont en recrudescence ces derniers temps. Ce soir, ils seront là, visibles, mais ils resteront minoritaires, en attendant l’extinction naturelle et totale de l’espèce.
Ni ces hurluberlus, ni le public encore épars n’empêchent cependant Liléa Narrative de continuer sur sa lancée. Son show prend même de l’ampleur quand il invite sur scène un rappeur répondant au doux nom de Cow-Boy, un barbu filiforme et en Stetson, le torse nu et peint comme une vache avec de grosses tâches noires. Déjà, rien qu’avec ce look singulier, le bonhomme en impose. Mais en plus, il est doué d’un véritable charisme. Il se déhanche avec fougue, lascif et suggestif comme un Iggy Pop rap, tant et si bien que le public s’excite un peu, et à propos cette fois. Quand le MC (mais est-ce un MC ?) quitte la scène, il en redemande, il clame son nom. Mais Liléa Narrative prend le soin de terminer seul son set, enchaînant sur un titre nettement plus uptempo et furieux que les précédents, davantage dans le ton rave qui devrait dominer cette nuit. Ce qui, bien sûr, satisfait le public. Il ne lui reste maintenant plus qu’à découvrir ce que vaut tout cela sur "Nouvelle Chair", le disque récemment sorti par l’artiste sur Purée Noire, un label dont il est le cofondateur.
Ceux qui suivent ne sont plus tout à fait hip hop, même si Busdriver les a accompagnés toute la semaine pour une petite tournée française. Mais ils sont chez Ninja Tune et sont relativement connus, ce qui renforce et massifie très rapidement le public du Grand Salon. Et là encore, c’est plutôt une réussite. Les avis pas très enthousiastes que j’avais entendus jusqu’à ce jour sur les récentes prestations françaises du groupe anglais ne s’avèrent pas tout à fait justifiés. Interprété par sept personnes (un batteur, un bassiste, un guitariste, un saxophoniste/clarinettiste, un organiste, une chanteuse et un bon à tout faire capable de faire tinter les machines, un xylophone et d’autres instruments indéfinis), ce lounge de luxe a ses longueurs, il s’éternise parfois inutilement. Mais la musique un brin rétro de Bonobo a retenu de l’électronique ses phases répétitives bien senties et ses montées d’acide, sans sacrifier aux vieux rites live du solo de batterie ou de saxophone. Tout cela aboutit à un concert bien maîtrisé, livré avec talent dans un esprit cool et détendu.
En attendant que Busdriver s’installe sur scène, il serait regrettable de ne pas aller voir ce qui se passe sur les scènes un peu plus techno. Et là-bas, dans cette immense salle du Parc des Expositions séparée en deux, ça cartonne déjà. A droite en venant du Grand Salon, côté Bibliothèque, c’est Missil qui est à l’ouvrage. En voilà une qui prouve qu’un DJ planqué derrière ses machines peut tout de même avoir de la présence. La jeune femme bouge, danse et brandit le poing, elle chante "Stand By Me" par-dessus ses sons, et sa musique a quelque chose de funky, de hip hop même avec tout ces breakbeats, ce qui est finalement assez plaisant pour un béotien comme moi. En face, à l’autre bout de la salle, côté Grenier, c’est X-Tech Vs. Enki à en croire le programme. Là, c’est de la techno plus basique qui est à l’oeuvre, une techno bourrin qui semble plaire à la portion de public présente ici, la plus jeune de tout le festival.
Après ce bref intermède, il est temps de redescendre au Grand Salon, car Busdriver est arrivé sur scène. Le public s’est d’ailleurs renouvelé. Quelques jeunes gens en casquettes ont remplacé les fraggles et les ravers, et ils crient "Busdriver!". Comme pour répondre à ces sollicitations, le Californien se lance tout de suite dans le bain, il ne s’économise pas. Le rappeur se meut au rythme de son flow supersonique. Ses jambes, ses bras et son corps sont en mouvement et dès la fin du premier titre, il est déjà trempé de sueur. Busdriver, c’est un flot, c’est une crue, c’est un phrasé de folie et une créativité qui jaillissent et qu’on ne peut plus stopper. C’est son atout, mais c’est aussi son grand défaut, sur disque comme un concert. Tout cela n’est pas assez canalisé. Sa prestation est étonnante, ceux qui ne le connaissaient pas semblent impressionnés, mais elle manque de dosage.
Elle manque aussi d’interaction avec le public. Busdriver évolue avec ses paroles. Mais ces paroles, peu de gens sont à même de le suivre, parce qu’elles sont rapides, et parce qu’elles sont en anglais, tout bêtement. Par exemple, quand il crie "clap ! clap !", les gens répètent "clap ! clap !", mais ne tapent pas dans leurs mains comme demandé. Pour répondre à ce manque d’adhésion, le rappeur a tout de même quelques atouts. Il y a les vieilles ruses hip hop qui consistent à faire lever les bras et à compter les filles dans la salle. Et puis il y a ce nouveau DJ très électronique qui l’accompagne, avec ces sons conformes aux attentes du public, et par ailleurs annonciateur de son prochain album. Sans surprise, la plupart des morceaux interprétés ce soir sont issus de ce RoadKillOvercoat prévu en janvier. Et certains, comme ce "Sun Showers" assez tubesque, font mouche ce soir.
Mais à l’applaudimètre, ce sont encore les vieux morceaux issus de "Temporary Forever" qui fonctionnent le mieux. "Imaginary Places" par exemple, décidément increvable. Et puis un "Gun Control" tonitruant déclamé en rappel sur des beats jungle, des beats que seul le phrasé ultra rapide du rappeur est capable de suivre. Des rappels, d’ailleurs, il y en aura deux ce soir. Preuve que Busdriver a tout de même fini par briser la glace en fin de concert. A titre personnel, et même s’il me paraît quelquefois évoluer davantage dans son "imaginary place" à lui que devant un public, j’ai trouvé sa prestation plus convaincante que la dernière que j’avais vu il y a deux ans, en d’autres lieux.
Le concert terminé, il ne reste plus qu’à changer de salle très vite pour aller écouter les Birdy Nam Nam. Mais là-bas, à l’autre bout, c’est déjà bondé et je ne pourrai découvrir dans des conditions satisfaisantes que deux minutes de la démonstration des turntablists français, deux minutes assez impressionnantes, d’ailleurs. Malheureusement, et c’est le seul reproche à faire à ce festival bien organisé et rondement mené, les deux clous hip hop de la soirée ont été programmés en même temps dans deux endroits séparés. Il fallait choisir. Et maintenant, à un Chris de Luca près, le hip hop va s’effacer au profit d’artistes plus purement électroniques, parmi lesquels votre serviteur ne connaît qu’Ed Rush & Optical. Nous étions déjà dimanche, et la nuit ne faisait que commencer au Parc des Expositions. Mais rien que pour les tout premiers concerts de cette soirée de clôture, il faisait bon être à Caen en ce 18 novembre.
Sylvain Bertot
Merci à Sophie et aux organisateurs de Nördik Impakt