Ooioo – Taïga
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Ce n’est un secret pour personne, l’underground jap est bien barré. On distingue aisément deux grandes tendances artistiques contemporaines au pays du soleil levant (cliché) : le fétichisme et l’expérimentation débridée (jeux de mots douteux). Sans être moi-même grand connaisseur de la musique locale, je constate à l’instant que quelques-uns de mes groupes chéris sont de purs produits de cet underground si singulier : les camés complètement partis d’Acid Mother Temple, les emo-coreux ultimes d’Envy, le pape multi-casquettes de l’underground mondial Keiji Haino, les épuisants et monstrueux Boredoms, les surnaturels Boris ("Pink", d’ores et déjà dans les dix meilleurs albums de l’année, qu’on se le dise), et les non moins géniaux Ruins, Merzbow, Zeni Geva, Melt Banana, entre autres – notez que je laisse volontairement de côté les garage-bands sans génie chers à Rock & Folk, qu’ils se les gardent. Et puis il y a OOIOO. Déjà ce nom… Quartet féminin mené par Yoshimi P-We (fondatrice des Boredoms aux côtés de Yamatsuka Eye, collaboratrice de Kim Gordon chez Free Kittens, idole de Wayne Coyne), OOIOO (oh-oh-eye-oh-oh) génère aujourd’hui une musique inclassable, percussive, expérimentale et psychédélique. En creusant un peu, on pourrait leur trouver dans les prodigieux Animal Collective une sorte de pendant occidental. "Taïga" reprend les choses là où le précédent "Gold and Green" les avait laissées : l’exploration de la facette la plus tribale de leur musique protéiforme. A mi-chemin des musiques traditionnelles japonaises (chants suraigus, parfois très longs, parfois simples onomatopées, utilisation d’instruments pour figurer les sons de la nature, construction particulière des morceaux, tout cela renvoie entre autres à la musique du théâtre Kabuki), africaines (percussions polyrythmiques, hypnotiques, jeu de guitare sur "UJA", recherche de la transe) et de l’expérimentation la plus pointue (jeux de fréquences, guitares noise, synthé analo dérangeant et autres perversions très japonaises), "Taïga" est paradoxalement le plus accessible des travaux du groupe, les dérapages sont relativement contrôlés et chaque chanson contient suffisament d’éléments "pop" – en gros, des mélodies – et d’énergie pour la rendre accrocheuse. On notera également que si la production est surpuissante (les toms assourdissants d’"UMA" en ouverture), elle arrive également à mettre en valeur chaque son, notamment ceux des multiples percussions composant l’arsenal du groupe (bongos, claves, batterie, steel drums,…). Alors évidemment, cet album a un défaut, corollaire attendu de ce fourmillement : il est épuisant. Enfin bon. Prenez sur vous. Le jeu en vaut la chandelle. On sort de là heureux.
PAM
UMA
KMS
UJA
GRS
ATS
SAI
UMO
IOA