ESPERS – Espers II
(Wichita Recordings / V2) [site] – acheter ce disque
Avec ce troisième album, Espers nous ouvre une nouvelle fois les portes de son royaume, un univers doux-amer où les cyclopes côtoient les enfants de pierre, où les éléments se déchaînent, où les rois et les reines périssent d’une mort mystérieuse. De la féerie que l’on connaît, celle des contes, Espers préserve toute l’ambivalence : entre la magie d’un monde nouveau et la cruauté des drames qui s’y déroulent. La voix douce et envoûtante de Meg Baird donne un peu de fraîcheur et d’innocence à cet univers dont la tristesse est suggérée par la lenteur des rythmes, par l’allure mélancolique des mélodies, par la lourdeur occasionnelle des violons. L’instrumentation riche et variée (flûte, violon, guitare, et même cornemuse dans "Children of Stone") est au service de la construction de paysages sonores, de tableaux très complets dans lesquels il nous est donné de nous aventurer quelques instants. On a l’impression de chroniques venues d’ailleurs : chaque morceau est comme un fragment de ce monde qui s’offre à nous pour la contemplation.
Mais réduire Espers à une simple porte d’entrée au royaume de Féerie serait une erreur. Là où les contrefaiseurs de musique médiévale se seraient contentés d’une orchestration classique, la formation de Philadelphie n’hésite pas à mêler aux harpes et aux clavecins le grincement d’une guitare électrique bien contemporaine. L’arrière-fond de percussions omniprésent tempère l’ardeur des violons ; la présence insistante de bourdonnements qui se prolongent parfois pendant des minutes entières (comme dans "Dead Queen") brise la dimension enchanteresse de la mélodie, et en fin de compte, si l’on est transporté ailleurs, c’est bien en gardant les pieds sur terre. Il en résulte une musique qui, tout en ayant un fort pouvoir évocateur, garde la remarquable sobriété caractéristique du folk. "Cruel Storm" est un morceau d’un dépouillement extrême, dont la mélancolie calme rappelle la simplicité des complaintes de Beth Gibbons. Dans "Children of stone", les voix se contentent pendant quelques minutes d’une simple guitare et d’une flûte pour accompagnement.
De cette alliance entre un folk épuré et une instrumentation très évocatrice naît donc un mélange original, difficile à caractériser en un mot ("acid folk" et "psychedelic folk" sont, semble-t-il, ce qu’on a trouvé de plus court en la matière…). Quoiqu’il en soit, le mariage est heureux, et le résultat vaut le détour. C’est rafraîchissant, envoûtant et dépaysant.
Catherine
Dead Queen
Widow’s Weed
Cruel Storm
Children of Stone
Mansfields and Cyclops
Dead King
Moon Occults the Sun