« Mais combien vont-ils être ? » C’est la question que nous nous posions, David et moi, lorsque nous attendions devant le Grand Mix, sur le point d’interviewer Jack The Ripper. Le combo, qui a publié il y a quelques mois un album très séduisant (« Ladies First« ) compte la bagatelle de huit membres, et la perspective de poser nos questions à l’ensemble du groupe laissait augurer d’une rencontre épique. Arrivés dans les loges, nous découvrons Thierry Mazurel, bassiste du groupe, qui se prêtera seul, au nom du groupe, au jeu de l’interview.
D’où vient le nom du groupe ?
Il n’y a pas d’influence particulière, c’est venu comme ça, ça peut être une espèce d’ambiance un peu mystérieuse, et finalement on s’est dit que ça nous collait bien à la peau, parce que le personnage devait être en quête de lui-même, et le nom est tombé comme ça. Et puis il y avait tout le côté Angleterre victorienne, et anglais tout court d’ailleurs, qui collait à la musique. Après c’est toujours difficile de choisir un nom à ses débuts. Parfois on le regrette, ça peut paraître ambitieux ou prétentieux – pour Jack the Ripper certains nous ont dit que ça ne collait pas trop, n’y voyaient que le côté sanglant, et non pas le côté mystérieux ou mystique. D’autres pensent qu’on fait du metal… Nous, on aime bien l’aspect brumeux du personnage, que l’on essaie de dévoiler dans la musique aussi.
Donc pas de regrets sur le nom ?
Non – mais bon c’est toujours difficile de se justifier sur ce nom, parce qu’on n’a pas de réponse préétablie, donc on en change à chaque fois (rires). Mais c’est comme parler d’influences musicales, ou d’étiquette, bien sûr il y en a, on ne vient pas de nulle part. Nos influences sont à l’évidence plutôt anglo-saxonnes, et même surtout anglaises – parce que c’est notre culture musicale ; c’est pour ça qu’on a décidé de chanter uniquement en anglais, même si c’est difficile parce que les Français n’aiment pas ça, enfin, la loi Toubon et compagnie fait que… bon, ça ne veut pas dire qu’on n’écoute pas de chanson française, ou qu’il n’y a pas de groupes français qui nous intéressent. Ceci dit, on est huit, donc les influences sont assez éparses, mais elles sont globalement anglo-saxonnes. Adrien, le violoniste, par exemple, est branché sur des choses très variées, ça peut aller du hard à la musique tex-mex, tsigane, classique, moi aussi, j’écoute beaucoup de musique classique, même si ce ne sont pas mes bases, parfois ça fait du bien de s’éloigner de tout ça, de découvrir d’autres harmonies.
Et vous écoutez beaucoup de musique ensemble ?
Non, on se voit beaucoup, on répète beaucoup ensemble, on compose ensemble, on fait des concerts ensemble, et après on peut se voir un peu en dehors, mais bon… On était un peu comme ça au début, sur les premier et deuxième albums, et puis, au fur et à mesure, chacun a découvert des choses de son côté, sans forcément les partager. Mais je pense que c’était plutôt une bonne chose de pas être concentrés autour de tel ou tel groupe, genre on est tous fans de la même chose. Je me souviens qu’on avait découvert 16 Horsepower et qu’on était tous fans – enfin c’est un bien grand mot – on était allé au concert, etc. mais après ça s’éparpille un peu ; je pense que c’est une bonne chose, parce que, peut-être de manière inconsciente, après on ramène certaines choses dans les compositions.
Il y a quand même pas mal de cohérence, et même de cohésion musicale dans la musique, dans son côté rock un peu classieux par exemple…
Après oui ça c’est notre façon de composer, notre univers qui s’affirme d’autant plus après trois albums. C’est difficile, parce que le morceau, à la base, c’est une espèce d’avorton, il n’y a pas un compositeur, chanteur, etc. Ça naît d’une idée, d’un air de piano, d’un riff de guitare, etc, et ensuite chacun va virevolter autour de ça, poser une rythmique, poser du chant ; ça peut complètement avorter, ne rien donner, et le morceau passe aux oubliettes, puis peut revenir trois mois, six mois, un an après, éventuellement.
Et les paroles viennent plutôt après ?
Oui, ça c’est le domaine d’Arnaud, le chanteur (et frère de l’interviewé, ndlr). Au début il est assez directif sur la musique, il lance des idées de chant, et une fois que la musique est assez établie, le texte vient ; et réciproquement une fois que le texte est établi, la structure musicale d’une chanson peut évoluer en fonction.
Par rapport aux textes, au niveau des influences littéraires, on se souvient d’une référence à Oscar Wilde, « Death of a Writer ». Avez-vous des influences littéraires communes ? L’Angleterre victorienne par exemple ?
Non, pas du tout. Bon, il y en a qui lisent plus que d’autres (rires). Arnaud lit pas mal de philosophie, mais aussi de la littérature slave, russe. Moi je suis assez branché par la littérature russe, de l’Europe de l’Est. Après il faut pas forcément chercher à intellectualiser – la manière dont il écrit ses textes peut être emplie de références littéraires, mais la base essentielle du texte vient plutôt de son expérience personnelle, de son ressenti quotidien. Par contre, il y a toujours un souci littéraire dans l’écriture. Arnaud dit souvent qu’il aime bien écrire en anglais, qui n’est pas sa langue maternelle, parce que c’est aussi la découverte d’une langue, le fait de chercher des mots. Il y a un labeur qui n’est pas instinctif – il aime bien construire en fait. C’est pour ça que ça peut mettre un certain temps.
Ce qui m’a frappé, c’est l’évocation du nom de Nick Cave, alors que je penserais plutôt à Kurt Weill notamment.
Ouais, ça n’est pas forcément volontaire. Nous-mêmes, on a pu penser à PJ Harvey sur certains riffs par exemple.
Pour ce qui est de Nick Cave il y a quand même un côté récit, non ?
C’est vrai qu’on y a pensé, c’était un peu une figure tutélaire, mais au bout d’un moment, on s’en est débarrassé. On ne va pas dire, évidemment, que l’on crache sur le personnage, la musique qu’il fait, mais au bout d’un moment, chacun suit sa route, et pour nous ça n’est plus qu’une figure de proue.