THE CONCRETES – In Colour
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Et si la (haute) fidélité était une question de latitude ? En veillant sur les essences primitives de la pop et du rock, les Scandinaves ont montré qu’ils n’avaient que faire des vapeurs modernistes cultivées en contrebas. Une science du passé qui fait de pays comme la Suède ou le Danemark les foyers d’un activisme rétrograde et d’un purisme auxquels seule l’Ecosse des Pastels et de Belle & Sebastian a pu prétendre avant eux. Des Raveonettes aux Concretes, des Legends aux Accidents, un courant d’air froid rend enfin une virginité à l’eurovision…
Respectivement chanteuse, guitariste et batteuse, Victoria Bergsman, Maria Eriksson et Lisa Milberg forment The Concretes à Stockholm en 1995. Bientôt rejoint par un backing band en tergal, ce girl group moderne va devenir un croisement improbable entre Angels, Tornados et Velvet Underground, le tout sous influence Stereolab. Une nostalgie foutraque et teintée d’irrévérence qui explose sur les deux premiers EP du groupe (réunis en 2000 sur "Boy, You Better Run Now"). Les codes se durciront fin 2004 avec The Concretes, grand disque malade qui les verra quitter l’indie timide de leurs débuts pour une pop à forte vocation lumineuse, débarrassée du spectre encombrant de Joe Meek. Plus qu’un chef d’œuvre, un soleil noir…
Ces jours-ci nous arrive justement "In Colour", un second album au titre préoccupant tant la relecture glaciale et monochrome des Suédois faisait jusqu’alors des merveilles. Pourtant, dès les premières mesures d’"On The Radio", l’ombre rassurante de Burt Bacharach plane sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à un clavier ou à un cuivre. La palette musicale se montre plus large. Par ses arrangements subtils et son chant fragile, le monumental "Sunbeams" tient la dragée haute aux bonbons à l’opium du premier album. Le single "Chosen One", malgré une tournure crétine de générique télé seventies, finit par remplir très honorablement son rôle d’attrape-nigauds. A mi-parcours, "Tomorrow" apporte une sophistication et un cachet incroyable à la mélancolie gauche de Victoria Bergsman. Enfin, cuivres et violonades country se marient divinement bien sur un "Ooh La La" qui emprunte beaucoup au mythe du cowboy scandinave.
Sur la longueur, l’album souffre d’une comparaison facile mais inévitable avec son prédécesseur. Plus ambitieux, plus réfléchi, moins intime, moins singulier, on perd une partie du charme au profit d’un début de formule. Si les mélodies n’ont rien perdu de leur délicieux venin, le groupe n’évite pas toujours les remontées de glucose ("A Way of Life") ni la niaiserie absolue ("Your Call" en duo avec le pénible Romeo Stodart des Magic Numbers). Sur "Grey Days", le chant échoue à la guitariste Maria Eriksson qui convoque l’esprit diabolique de Dolores "Cranberries" aussi sûrement qu’au sein de son ignoble duo country-pop, Heikki. "Fiction" marque une tentative désastreuse de sonner "new-yorkais" quant à "Song for The Songs", il s’agit du morceau idéal pour aller parader en costume de dindon dans une émission pour enfants. La cohérence n’a pas été votée à l’unanimité ce coup-ci…
Ce qui séduit chez les Concretes, c’est le décalage constant qui existe entre leurs fantasmes musicaux et leurs origines nordiques. Il y a un monde entre les deux, un gouffre qu’ils n’ont eu de cesse de ne pas combler totalement, quelque chose d’un exil scandinave de Lee Hazlewood. Avec ce nouvel album, on a l’impression désagréable d’entendre des rêveurs se transformer peu à peu en faiseurs. La fin de l’adolescence. Sûrement.
Dante Nolleau
On The Radio
Sunbeams
Change in The Weather
Chosen One
Your Call
Fiction
Tomorrow
As Four
Grey Days
A Way of Life
Ooh La La
Song for The Songs