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Vashti Bunyan – Interview

VASHTI BUNYAN

Ne cherchez pas, le premier phénomène qu’on doit à la magie d’internet, ce n’est ni le triomphe des Arctic Monkeys ni le succès de Clap Your Hands Say Yeah, mais bien la résurrection de Vashti Bunyan. Disparue pendant trente-cinq ans après un début de carrière loupé et une premier album passé inaperçu, « Just Another Diamond Day« , Vashti est revenue comme par miracle l’an dernier avec un nouveau joyau, le sublime « Lookaftering« . Je la rencontrai en octobre dernier, juste avant la sortie de l’album pour un récit très émouvant de ses débuts, de son départ et de son retour. J’en suis sorti tout chamboulé, et j’avoue avoir eu du mal à de me décider à réécouter la bande, de peur de briser la magie de ce moment dans mes souvenirs. A la veille de la tournée de Vashti dans le cadre du festival Les Femmes s’en mêlent, il était plus que temps.

J’aimais la pop musique, j’aimais les pop songs. Quand je me suis retrouvée en école d’art, une amie m’a appris à jouer de la guitare. Ensuite, j’ai été renvoyée de l’école d’art parce que je n’y allais pas, et alors je me suis consacrée à la musique. Je voulais que ça devienne réalité, que ce soit quelque chose de concret. Cela ne m’a pas pris beaucoup de temps. A cette époque, à Londres, l’industrie musicale était un milieu de taille réduite – ça l’est toujours d’ailleurs. Je n’ai donc pas mis très longtemps à rencontrer Andrew, qui était le manager des Rolling Stones.

Comment l’as-tu rencontré ?
Par l’intermédiaire d’une amie de ma mère ! Pas vraiment cool (rires). Ma mère avait une amie qui était actrice, et à une fête où elle était, je chantais, avec ma guitare. Elle a parlé de moi à Andrew, et m’a dit d’aller le voir. J’ai fait quelques enregistrements avec lui, mais ça n’a jamais marché. Pendant une période d’environ trois ans, ça a été perpétuellement sur le point d’arriver. Et… je… me suis découragée…

Est-ce que tu étais impressionnée de te retrouver dans l’entourage de tous ces gens, les Rolling Stones, les Small Faces, Immediate ?
Oui… Oui ! (rires). J’étais incroyablement impressionnée et excitée. Mais j’étais aussi très timide, très renfermée sur moi-même. Je ne suis pas devenue amie avec tous ces gens, j’étais en marge, j’observais, amusée, les choses fascinantes qui avaient lieu autour de moi. J’ai adoré ça. Le monde d’Andrew était totalement fou, extravagant, généreux et brillant. Cela m’a réellement manqué quand je suis partie. Mais je ne me sentais pas totalement à ma place, je n’étais pas faite d’une étoffe assez résistante.

Tu as parlé de pop music. Et le folk ?
Je ne me suis jamais considérée comme une artiste folk. Quand les gens parlent de moi comme une artiste folk aujourd’hui, je me demande de qui ils parlent… Je n’arrive pas à me défaire de cette étiquette. Quand j’écrivais des chansons, vers 1966, j’ai rencontré un poète, Alasdair Clayre, qui m’a fait découvrir beaucoup de morceaux folk. J’aimais les mélodies, mais je n’aimais pas le son. Cela me semblait dater du XVIIIème ou du XIXème siècle, mais pour moi, c’était une erreur de faire ce genre de musique à cette époque. Donc quand les gens me catégorisent comme une chanteuse folk, une chanteuse traditionnelle, si c’est à cela qu’ils font référence, je ne l’ai jamais été. J’aime les mélodies des folk songs et j’en ai sans doute retenu quelque chose, mais à l’époque où il y avait des clubs de folk, où des groupes de folk comme Fairport Convention se formaient, je n’appartenais pas du tout à cette scène. Je m’en suis même éloignée volontairement, je ne me considérais pas du tout comme une artiste folk, mais comme une chanteuse pop qui était intéressée par la folk music et voulait en quelque sorte réunir les deux. Et je pense que j’ai échoué à faire ce mélange. Quand Donovan est arrivé, je pense que lui a réussi ce que je voulais faire. Les gens l’ont appelé un folk singer (rires). Je ne pense pas à lui en tant que folk singer… Et à moi non plus. Mais je pense que la façon dont il compose m’a influencée. Il se trouve que j’ai passé du temps avec lui, avant de partir en carriole, et sa musique a été la dernière que j’ai entendue avant cette période deux ans où nous n’avions pas de musique et pas d’électricité. Quand j’écrivais les chansons qui devaient composer « Just Another Diamond Day », je pense que je devais avoir les chansons de Donovan dans ma tête. J’étais plus influencée par la musique de l’époque que par la musique traditionnelle.

Il reste peu de morceaux de la période que tu as passée dans l’entourage du label Immediate.
Il y en a, je suis en train de les rassembler pour les sortir en CD courant 2006. Je n’avais rien gardé. Quand les choses n’ont pas marché avec Andrew Loog Oldham, j’étais si furieuse contre moi-même que j’ai tout mis dans une grande valise, que j’ai laissée dans un cabanon, chez mon frère. Il a vendu la maison, et m’a appelée en me disant de venir récupérer mes affaires. Je pense que j’étais en Irlande à ce moment-là. Je lui ai répondu que je n’en voulais pas. Cinq ans plus tard, il a racheté la maison, et la valise était toujours dans le cabanon. Donc j’ai tout récupéré, mais je n’y ai jamais attaché de valeur, ça a rejoint un autre cabanon. C’est seulement au cours des cinq dernières années que j’ai recommencé à y jeter un oeil. Les enregistrements sont dans un sale état (rires).

Et donc tu es partie…
J’étais déterminée à ne plus jamais mettre les pieds dans un studio d’enregistrement. Les chansons que j’écrivais sur la route étaient juste pour moi. Mais j’ai rencontré Joe Boyd, qui m’a persuadée de rentrer en studio, à la fin du voyage. C’est pour cela que j’ai enregistré « Diamond Day ». Et ce qui est sorti du studio était beaucoup plus folk que je n’en avais l’intention (rires), parce qu’il y avait des musiciens folk sur le disque. C’étaient d’excellents musiciens, mais on ne venait pas du même monde, eux venaient du monde de la musique traditionnelle, et moi de celui d’Andrew L. Oldham ! C’est extraordinaire à quel point ce disque passa inaperçu.

Mais quand le disque est sorti, au lieu de rester à Londres pour en assurer la promotion, tu as préféré partir à nouveau…
Oui, effectivement, j’ai choisi de partir. Entre le moment où je suis sortie du studio et le moment où j’ai entendu le disque terminé pour la première fois, il s’est écoulé une année entière. Je suis retourné dans les îles Hébrides, Joe est parti aux Etats-Unis en emportant les bandes avec lui. A ce moment-là, j’avais déjà eu mon premier enfant, et cela ne m’intéressait plus. Ça ressemblait tellement peu à ce que j’avais fait auparavant, et j’avais une telle haute idée de la façon dont ce disque aurait dû sonner. J’adorais les arrangements de Robert Kirby, ils correspondaient assez à ce dont j’avais envie. Les morceaux que nous avons enregistrés spontanément, en quelques prises, fonctionnaient bien. Mais je ne me reconnaissais pas dans les morceaux les plus folk. Et comme je ne les avais pas entendus pendant très longtemps, qu’ils me semblaient venir d’une autre vie, avant que j’aie mon bébé, j’ai pensé : « ok, je ne referai plus jamais ça, j’arrête ».

Et donc, tu as arrêté totalement de faire de la musique pendant plus de trente ans ?
Oui. J’avais une très belle guitare, une Martin, magnifique. Et le type qui est venu me chercher aux Hébrides pour nous conduire à Londres pour l’enregistrement a reculé dessus avec sa voiture… Joe l’a fait réparer, ça a été mon avance pour l’enregistrement de « Diamond Day ». Et il a fallu huit mois après l’enregistrement avant que je ne la récupère. J’avais dû en emprunter une autre pour l’enregistrement – c’était une autre raison pour laquelle je n’étais pas contente du disque : ce n’était pas ma guitare ! Et quand je l’ai récupérée, donc, j’ai eu l’impression qu’il s’agissait d’un instrument différent. Je n’en ai jamais rejoué, c’est mon fils qui l’a aujourd’hui.
Quand j’ai voulu recommencer à en jouer, ce que j’entendais, c’était le son de « Diamond Day », et je ne voulais pas l’entendre. Je détestais ça, car cela représentait l’échec de cette partie de ma vie pendant laquelle j’avais voulu tellement fort être une chanteuse et une compositrice. La seule façon pour moi d’assumer le fait d’avoir échoué, c’était de tirer un trait sur cette épisode. J’ai même arrêté d’écouter la musique des autres, il n’y avait pas de musique dans ma vie. Ce qui a été un peu injuste pour mes enfants, d’ailleurs. Les gens me demandent si je jouais mes chansons à mes enfants… Jamais… Ils ne les connaissaient pas. Ca me semble assez fou maintenant mais c’était à la mesure de combien j’étais traumatisée. Personne n’y faisait allusion, pas même mes amis, encore moins les artistes de cette époque. C’était comme si ce disque n’avait jamais existé.

Une de tes chansons a été reprise par le groupe Lush dans les années 90. Est-ce que tu en avais entendu parler à l’époque ?
Non, je l’ignorais totalement. Je pensais que cette chanson était perdue pour toujours. J’en avais seulement un acetate et je l’avais donné à quelqu’un dans les Hébrides, qui l’avait perdu. La première fois que j’en ai entendu parler, c’est quand quelqu’un m’a indiqué les paroles, sur un site web sur Lush. Je savais que j’avais écrit une chanson qui portait ce titre (rires). J’ai écrit à 4AD, et une personne très gentille m’a envoyé le morceau. C’était un moment génial. Cela faisait tellement longtemps que je n’avais pas écouté ce titre ! Ils m’ont aussi dit où Lush l’avait trouvé initialement ; c’était sur une compilation de morceaux rares. Le garçon qui avait fait cette compilation était tombé sur la démo – je ne sais pas s’il s’agissait de celle que j’avais donnée et qui était revenue jusqu’à Londres ou d’une autre – mais quand je l’ai écoutée, je n’avais pas entendu d’enregistrement de moi depuis 1967 ! J’étais tellement ravie que quelqu’un, aussi longtemps après, trouve assez d’intérêt à ma musique pour l’enregistrer. J’aime vraiment cette version. C’était la dernière chanson que j’avais écrite chez Immediate.

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