BRONNT INDUSTRIES KAPITAL – Virtute Et Industria
(Silent Age Records / Static Caravan)
A l’époque où ma passion pour Dead Can Dance était encore en vie, j’avais une nette préférence pour les albums de la "maturité" et une tendance à négliger les premiers, taxés à tort ou à raison de "gothiques". Leur glissement progressif vers une sorte de world music élégante mais envahissante m’a pourtant incité à écouter avec plus d’attention ce qu’ils faisaient avant "The Serpent’s Egg". Et puis, récemment, je découvre Bronnt Industries Kapital, attiré (je l’avoue) d’abord par la présentation graphique et les titres délirants de ce premier album. A la première écoute, on se retrouve 20 ans auparavant, même atmosphère fiévreuse et romantique ("Polaris"), même ambiance lourde sur rythmes oppressants, même glacis electro couvrant des symboles énigmatiques. C’est comme une quintessence de l’esprit D.C.D., dont on aurait gardé la sobriété des structures sublimes sans la broderie ethno, à tel point qu’on ne regrette plus l’absence quasi totale des voix. Et puis tout d’un coup, sur "Valmara", les traditions musicales (re)surgissent dans le rythme complexe et exotique. On craint pendant un instant la même dérive vers le confort d’une "world" complaisante. Heureusement, ici, l’allusion ethnique s’arrête à un choix raffiné de percussions et de cadences tantôt orientales, tantôt dans un esprit plus hispanique, au ralenti. Le reste du temps c’est sévère et martial, funèbre ou obsédant. Pourtant Bronnt n’ignore pas non plus tout ce qui a bousculé la musique ces dernières années, depuis la recherche electro et la déconstruction des voix jusqu’à l’humour noir postmoderne, dont ils font preuve à l’occasion en se servant de sons dignes d’un faux film muet du 21ème siècle ("Rats in the Walls"). Et alors qu’on ne peut ignorer les suggestions macabres de plusieurs morceaux, on aurait du mal à ranger cet album au rayon gothique. Les références littéraires et savantes sont bien là (Lovecraft et d’autres mythologies urbaines ou guerrières, comme sur "Western Front"), ainsi que les parodies style XIXème ("Song of the Easton Strangler") mais elles sont toujours contre-balancées par des trouvailles sonores inouïes, dans des compositions jamais pesantes. Et alors qu’on n’attend même plus les voix, le magnifique "Maggots in the Rice" (Les vers dans le riz) apporte la preuve qu’on est en train d’écouter un grand album. Sur le fond d’un dialogue de complaintes fantomatiques, surviennent de drôles de sons de cordes pincées, distordus et maintenus juste ce qu’il faut pour que l’on comprenne que ce sont aussi des voix, devenues inhumaines. Comme les vibrations d’un instrument de l’horreur, dont un démon fatigué jouerait en caressant et tourmentant les âmes tendues mais bien tempérées.
Gabriel Marian
Western Front (Mustard gas, attrition )
Polaris (Lepping’s Patented Lapwing Harmonium "Good to chill out to")
Valmara 69 (Bounding landmines, old man dancing)
Brocken (51° 48′ 0" N, 10° 37′ 04" W)
Rats in the Walls (Return to Castle Quest. You have always been the caretaker.)
Endless Pressure (Night spent inside coffin)
Maggots in the Rice (One-child policy)
Palus Somnii (Warm Codeine Lido)
Sunken Gardens (Earth, 2014)
Song of the Easton Strangler (Star-chart, ritual)