BITTER SPRINGS – That Sentimental Slush
(Harvey / Cargo) [site]
Pas assez jeunes, pas assez drogués, pas assez habillés par Hedi Slimane (pas du tout, même), les Londoniens Bitter Springs n’ont à peu près rien pour plaire. Précisons en outre qu’ils aiment se commettre avec des artistes pas franchement hype (ils furent longtemps le backing band du grand Vic Godard, qui vient faire coucou ici), qu’ils sont sans label fixe et que la pochette de leur nouvel album fièrement autoproduit, "That Sentimental Slush", arbore un gribouillis gris foncé sur fond gris clair (signé d’un certain… Simon Gray) et une typo d’un autre temps. On l’aura compris, ce groupe nous est fort sympathique. Ce qui, en soi, ne mériterait pas forcément de longs développements si Simon Rivers, bien épaulé par ses compagnons de pub qui partagent avec lui les crédits, n’était aussi et surtout un songwriter de premier ordre, s’inscrivant dans cette riche lignée de chroniqueurs affûtés de la working class britannique.
N’ayant rien sorti depuis trois ans, les Printemps Amers ont dû accumuler de la matière : ce nouveau CD compte pas moins de 18 plages et frôle les 70 minutes – dans le temps, on aurait parlé d’un double album. Cette profusion le rend un peu difficile à ingurgiter d’une traite, mais comme aucun morceau faiblard n’est à déplorer (à part peut-être un instrumental d’une minute à peine), il n’y a pas vraiment lieu de se plaindre. Alors que tant de jeunes groupes anglais tentent de mimer la tension qui habitait leurs aînés post-punk, les Bitter Springs jouent toujours des chansons un peu débraillées et faussement bâclées, comme les Kinks, Lou Reed ou Pavement avant eux. Pop dans l’âme, ils aiment à l’évidence les sons et les ambiances rétro, la country et le cabaret, l’orgue Hammond et la trompette, et même le calypso et l’accordéon, mais n’en font pas une religion : sur "Beautiful Things", Rivers pose sa voix sur des sonorités synthétiques étales, et est pris d’une poussée de fièvre sur l’épique "Moving to the City", avec son violon échevelé digne des Tindersticks.
Dans le temps, on a souvent comparé les Bitter Springs aux Go-Betweens (plutôt le versant Forster, alors), ce qui était assez juste. Ici, on pense à d’autres oubliés de la gloire comme Band Of Holy Joy, Harvest Ministers ou Animals That Swim, mais aussi aux plus fameux Ian Dury ou Pogues – la celtitude et les postillons en moins. Des cabochards cabossés, pas vraiment là pour faire hurler les kids à "Top of the Pops".
Comme eux, Rivers (le "Martin Parr de la pègre indé", selon ses amis de Piano Magic) regarde avec un sourire en coin et un détachement de dandy un monde qui, décidément, ne tourne pas très rond ("The Incredible Shrinking Globe"), et en tire des textes acides et désenchantés, remplis de "one-liners" à l’humour rosse – pas étonnant que son groupe s’entende si bien avec Vic Godard. Un monde que ce nouveau disque ne changera sans doute pas, mais qu’il contribuera à rendre un peu plus vivable pour une poignée d’admirateurs.
Vincent Arquillière
Attempted Life
Moving to the City
The King and I
A Euro for Them
Gathering Dust
The Snip
Paedophile Island
Thee Idiots Computing
Miles Away
City of Glass
The Incredible Shrinking Globe
Beautiful Things
Music… It’s a Young Mans Game
The End of Us
Forget about It All
I’ll Get This for You Butler
Follow Your Heart
Ice Cold Glass