AIMEE MANN – Forgotten Arm
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Comme quelques personnes, j’ai découvert Aimee Mann par sa participation à la bande originale du film Magnolia. Rarement avais-je été aussi impressionné par l’adéquation quasi symbiotique entre un film et sa musique. Et pour cause : Paul Thomas Anderson avait écrit Magnolia en s’inspirant des précédentes chansons d’Aimee Mann. C’est une énigme, cette Aimee : le contraste entre un background mainstream – chansons simples et limpides dénuées de la moindre agressivité, production californienne sans aspérités, musiciens les plus pros de L.A. – et sensibilités a priori plus indépendantes – la tristesse poisseuse mais lumineuse qui baigne à peu près toute son oeuvre, la création de son propre label – est fascinant. Si elle emprunte au meilleur des deux mondes, sa musique demeure pourtant étrangère aux contraintes qui enferment l’indie (petits budgets, guerres de crédibilité, prétentions arty) et le mainstream (chiffres de vente, productions calibrées, règne du plus grand dénominateur commun). Au final, son adult-rock désenchanté et décalé ne peut être soupçonné ni de tiédeur sans consistance ni de complaisance vis-à-vis du grand public visé par ses consoeurs. Soit en deux mots : inclassable et classe. Dans "Forgotten Arm", Aimee Mann creuse son sillon paradoxal : enregistré en live sur cinq jours et produit par Joe Henry, l’album sonne plus brut et plus sobre que ses dernières productions, mais on est très loin d’un disque dépouillé, rêche et cheap – qui plus est le guitariste de Sheryl Crow est de l’aventure. Quant aux morceaux, ils sont conçus comme les étapes chronologiques d’une histoire très méticuleusement scénarisée : un road-movie tumultueux sur la rencontre, la fuite et les amours déclinantes d’un boxeur junkie de retour du Vietnam et de sa compagne – sous la double influence de Raymond Carver et Terence Malick. Sur cet arrière-plan que les cyniques décriront comme du sentimentalisme hollywoodien grand écran, Aimee Mann porte comme d’habitude de sa voix claire et expressive une bonne demi-douzaine de chansons poignantes et addictives, admirablement écrites et arrangées, quelque part entre Carole King, Badfinger et Jesse Winchester ("King of the Jailhouse", "Going through the Motions", "Video"). Et c’est peut-être là le talent de la belle : rendre avec sobriété le pathos catchy, faire passer en douce une sensation diffuse de malaise et d’étrangeté au travers d’une esthétique léchée. Apparemment réservée et distante, Aimee Mann a cependant un don véritable pour la compassion et l’empathie. Secrètement généreuse, passionnément inquiète : un vrai personnage d’un film de Paul Thomas Anderson.
Laurent Vaissière
A lire également, sur Aimee Mann :
chronique de "Live At St Ann’s Warehouse" (2005)
chronique de "Bachelor N°2 or the last remains of the dodo" (2001)
Dear John
King of the jailhouse
Goodbye Caroline
Going Through the Motions
I can’t Get my Head Around It
She really Wants You
Video
Little Bombs
That’s How I Knew this Story would Break my Heart
I can’t Help you Anymore
Clean up for Christmas
Beautiful