SPOON – Gimme Fiction
(Beggars / Naïve) [site] – acheter ce disque
Cet album se distingue par un séduisant paradoxe. Assez immédiatement accrocheur, le disque ne laisse pas facilement deviner pour autant ce qui fait sa singularité et l’attrait du matériel qu’il déploie sur onze titres. Une musique qui est, en effet, incontestablement digne d’intérêt sans pour autant être exceptionnelle au sens premier du terme, ni aisément palpable. Pour cette raison, et peut-être à tort, le groupe peut faire songer aux disques judicieusement translucides de Swell, éminemment charmeurs à bien des égards, presque immédiatement familiers ; pourtant également insaisissables et lointains en un sens. Sans doute la voix de Britt Daniels ne joue-t-elle pas un rôle neutre dans cette histoire. Là encore, rien de terriblement marquant sinon l’impression d’entendre son voisin de palier ou un ancien camarade de classe pousser la chansonnette : un timbre clair, un brin dégagé, des intonations justes et agréables, et surtout cette inexplicable proximité qui invite à écouter la suite. Comme si la voix de Britt Daniels, dans tout ce qu’elle avait de commun, était la parfaite synthèse des pop-singers américains de ces dernières années. Car d’Amérique, il est tout de même question ici. Par touches fugaces, par détours et sous-entendus, certes… Mais Spoon est bel et bien un groupe américain (indépendant) qui s’assume comme tel occasionnellement. "I Summon You" rappelle à juste titre ces racines en explorant le versant folk de la formation d’Austin, sur fond d’une batterie tonique, dont on retrouve d’ailleurs sur l’ensemble du disque la patte indispensable au son de chacun des morceaux. Mais c’est une tâche globalement bien ardue de tenter de définir une unité de ton pour l’ensemble des onze titres, même si les arrangements, bien marqués donc par la batterie et emmenés généralement par une guitare acoustique en premier plan, tendent à mener les chansons vers un son un peu sec qui donne une forte homogénéité au disque. On peut presque parler de tentations disco, d’une facture inédite, pour "I Turn My Camera On" alors que "Sister Jack" pourrait être un manifeste pop. Quant au rythme chaloupé de "The Delicate Place", on ne sait pas exactement ce vers quoi il nous emmène sinon vers sa propre évidence. A disséquer un peu en détails l’album, on finit alors par comprendre ce qui nous a plu en lui, qui nous paraissait aussi insaisissable de prime abord : ce sont les chansons elles-mêmes. Inutile de pousser la mauvaise foi plus en avant. On ne peut guère lutter lorsque Britt Daniels entonne le refrain de "The Two Sides of Monsieur Valentine", probablement la meilleure chanson du disque. On aura beau jeu de dire alors que Spoon n’a pas ce je-ne-sais-quoi d’unique qui justifie qu’on s’y attarde. C’est justement dans sa capacité à créer une forme de spontanéité mélodique à partir d’ingrédients largement rodés que le groupe excelle et parvient à livrer un album à ce niveau de maturation. Beau travail.
Jean-Charles Dufeu
The Beast And Dragon, Adored Two Sides
Monsieur Valentine
I Turn My Camera On
My Mathematical Mind
The Delicate Place
Sister Jack
I Summon You
The Infinite Pet
Was It You?
They Never Got You
Merchants Of Soul