NARCOPHONY – Plays The Residents
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Narcophony est le projet de deux musiciens lyonnais, Ivan Chiossone et Eric Aldéa, signé sur 0101, la division électronique du label Ici d’ailleurs. Si le premier n’a guère fait parler de lui jusqu’ici, le second a un passé musical déjà chargé : avec Deity Guns (de 89 à 93) et Bästard (de 92 à 97), il explora des territoires proches de la no wave, du noise et du post-rock, traçant un sillon inédit dans le rock français. Avec Narcophony, il poursuit cet itinéraire non balisé en inventant une musique dont la grande liberté est paradoxale. Aldéa et Chiossone travaillent en effet une matière qui ne leur appartient pas : leur première collaboration était une relecture de l’œuvre inclassable de Nurse With Wound, tandis que la seconde, "Kabul", était bâtie sur des enregistrements réalisés dans la capitale afghane.
Cette fois encore, ils s’attaquent à un sacré morceau : la musique des Residents, groupe culte de San Francisco dont les membres gardent depuis plus de trente ans l’anonymat, en dissimulant leurs visages derrière d’énormes globes oculaires ou d’autres masques. Une gageure, tant les "chansons" de ces frappadingues semblent a priori indissociables d’une interprétation par leurs créateurs, dont le champ d’activité excède d’ailleurs le domaine purement musical (les Residents furent des pionniers du clip et du multimédia, et leurs concerts sont à la limite du théâtre d’avant-garde). Pour que le résultat soit digne d’intérêt, il fallait donc en conserver l’esprit (passablement tordu), mais en le traduisant dans un autre langage. La bonne idée d’Aldéa, Chiossone et leurs acolytes, c’est d’avoir opté pour une instrumentation assez éloignée de celle d’origine. Si l’on retrouve les voix trafiquées, les rythmes bizarres et les dissonances, marques de fabrique des Américains, les synthés, boîtes à rythme et effets de studio sont ici largement remplacés par la flûte, l’harmonium, la contrebasse, le violoncelle, les percussions exotiques, les appeaux, ou encore cet instrument rare et magnifique que sont les ondes Martenot, ancêtres de l’instrumentation électronique d’aujourd’hui.
Ainsi paré, Narcophony peut se permettre de subtils décadrages par rapport à ses modèles. Si sa relecture des morceaux d’une minute du "Commercial Album" reste assez fidèle, on part le plus souvent dans des univers musicaux inattendus. "The Festival of Death", tiré du génial et glacé "Eskimo" (1979), flotte ainsi entre l’exotica et la musique répétitive sous influence orientale de Terry Riley – et c’est splendide. "Ship’s A’going down" et "Hello Skinny" deviennent des chants funèbres tellement désolés qu’ils semblent sortis d’un vieil album de Current 93. Avec "Jambalaya (on the Bayou)", Narcophony joue de la mise en abyme : il s’agit d’un morceau de Hank Williams que les Residents, eux-mêmes spécialistes des covers improbables, avaient désossé sur leur album hommage "Stars & Hank Forever". Ici, il démarre très roots (avec bruits de basse-cour !) et bascule progressivement dans un délire électronique, un peu à la manière de ce que Matmos a tenté avec "The Civil War" il y a deux ans. La programmation de "Broccoli & Saxophone" rappelle, quant à elle, l’electro ambient de groupes comme Boards of Canada.
L’intérêt de ces reprises, outre leur variété stylistique et leur grande intelligence musicale, réside ainsi dans leur façon de mettre au jour des liens plus ou moins évidents entre l’œuvre des Residents et celles d’autres artistes, apparus avant, après, ou en même temps qu’eux (outre les précités, Captain Beefheart, Zappa, Henry Cow, John Zorn, Tuxedomoon…). Comme une histoire souterraine du rock, dont nos amis à têtes de globe seraient parmi les plus singuliers personnages.
Vincent Arquillière
The Festival of Death
The Act of Being Polite
Perfect Love
In Between Dreams
The Simple Song
Ship’s A’going Down
Jambalaya (On the Bayou)
Hello Skinny
Whatever Happened to Vileness Fats ?
Broccoli & Saxophone
Eloise
Oh Lord, It’s Lonely
The Knife Fight/The Importance of Evergreen