STUART STAPLES – Lucky Dog Recordings 03-04
(Beggars / Naïve) – acheter ce disque
Ce premier album de Stuart Staples, la voix des Tindersticks, on l’a mis dans la platine avec autant d’excitation que d’appréhension. Car on a déjà vu trop de chanteurs de groupes adorés se prendre les pieds dans le tapis une fois débarrassés de leurs camarades de jeu, et ne livrer qu’une pâle copie de leurs exploits passés. Les Tindersticks n’ayant guère quitté l’excellence depuis douze ans, le défi était ici de taille. Staples y répond intelligemment en jouant profil bas, son disque se présentant davantage comme une humble parenthèse que comme un nouveau départ solitaire nourri par un ego surdimensionné. Son élégant sextette est d’ailleurs toujours en activité, et on peut espérer un nouvel album prochainement (ils sortent toujours les années impaires).
Le disque ne prétend donc pas être davantage que ce qu’indique son titre banalement descriptif : une collection d’enregistrements réalisés en 2003 et 2004 aux studios Lucky Dog.
Avec ses trente-huit petites minutes et son instrumentation dépouillée, il paraît assez loin des premiers albums des Tindersticks, qui menaçaient à tout moment de crouler sous leur propre démesure. Les fastueux arrangements de cordes de Dickon Hinchliffe, l’une des marques de fabrique du groupe, brillent par leur absence, tout comme les inflexions soul vintage présentes sur leurs disques post-"Curtains". Certes, quelques membres du groupe sont venus prêter main forte, et les cuivres sont joués par Terry Edwards, un vieux complice. Mais on croise également des nouveaux, dont quelques noms connus : le batteur Thomas Belhom, Yann Tiersen ou les deux Adrian (Huge et Stout, batterie et contrebasse) des Tiger Lillies, figures hautes en couleur du cabaret-rock londonien.
On peut quand même parler de continuité : Stuart Staples ne s’est pas mis au punk-funk ou au UK garage, préférant rester sagement dans des registres déjà explorés auparavant, où son organe de velours fait toujours merveille. Du Tindersticks au régime, alors ? Un peu, mais pas seulement. Plutôt un pas de côté libérateur, où transparaît le goût du chanteur pour une musique assez brute et spontanée, aux rythmes un peu boiteux, aux sons pas très clairs. Cette dimension du groupe apparaît moins aujourd’hui, mais s’exprimait hier à travers certains choix de reprises (Pavement, Townes Van Zandt, Tom Waits, qui côtoyaient Otis Redding, Lee Hazlewood ou John Barry, représentants d’une veine plus classique et orchestrée) et un rythme de sorties impressionnant, qui n’autorisait pas toujours le fignolage.
Mais derrière toute cette modestie, il y a quand même ici une volonté de s’affirmer comme songwriter à part entière, et pas uniquement comme chanteur, domaine où Staples n’a plus grand-chose à prouver. Deux morceaux – les plus anecdotiques du disque – se passent d’ailleurs de sa voix, ce qui peut surprendre de prime abord, même si les Tindersticks ont enregistré beaucoup d’instrumentaux. Au final, "Lucky Dog…" n’offre rien d’aussi mémorable, abouti et grandiose que "Patchwork", "A Night In" ou "My Oblivion", et il y manque ces envolées et ces moments de tension qui font tout le prix des albums du groupe ("Say Something Now" est ce qui s’en rapproche le plus). Mais à défaut de grandes chansons, Staples parvient à créer des atmosphères prenantes avec peu de chose : quelques accords, quelques mots, quelques instruments pas très bavards… et, bien sûr, sa voix unique sur huit des dix morceaux. Conclusion : le talent des Tindersticks ne réside pas dans son seul chanteur (ce dont on se doutait un peu), mais celui-ci est capable de voler de ses propres ailes, tant qu’il ne s’éloigne pas trop du nid.
Vincent Arquillière
Somerset House
Marseilles Sunshine
Say Something Now
Friday Night
Shame on You
Untitled
Dark Days
People Fall Down
She Don’t Have to Be Good to Me
I’ve Come a Long Way