Julien Baer est un cas à part dans le petit monde de la chanson française. Ou de la pop française, du rock, de la variété… Avec lui, les étiquettes n’adhèrent pas trop. Surtout sur son troisième album, l’éclectique et très réussi « Notre Dame des limites », qui vient rompre six ans de silence – un rythme d’escargot généralement réservé aux très gros vendeurs type Souchon/Voulzy ou Cabrel. Les chansons de ce disque, on peut les entendre aussi bien sur Radio Nova que sur France Inter, elles sont susceptibles de plaire autant à votre mère qui aime tant Alain Chamfort qu’à votre cousin féru de rythmes funky et d’instruments africains. Avec ce personnage lunaire et attachant, peu porté sur l’auto-analyse mais toujours curieux de savoir ce qu’on pense de sa musique, les interviews ressemblent à des discussions amicales – devant un chocolat chaud assez peu rock’n’roll, dans le cas présent. Julien Baer prévient : « Je parle hyper bas ». Pas de problème, on est tout ouïe.
Je t’avais déjà rencontré à l’époque du premier album, dans un bouchon lyonnais, avec tes musiciens.
Ta tête me dit quelque chose, en effet (c’était quand même huit ans plus tôt !, ndlr).
A un moment, tu m’avais fait interviewer ta salade. Ça va mieux, depuis ?
(rires) Tu peux régler le volume d’enregistrement, sur ton magnéto ?
Non, mais ça devrait aller. Plus sérieusement, on n’avait plus de nouvelles depuis ton deuxième album, « Cherchell », en 1999. Qu’as-tu fait pendant tout ce temps ?
C’est vrai que c’est long, six ans… En fait, j’ai quitté ma maison de disques (Polydor, ndlr). Je n’aimais plus trop ce que je faisais, j’ai donc cherché et découvert ou redécouvert d’autres trucs, puis il a fallu trouver une nouvelle maison de disques.
Le deuxième album était passé un peu inaperçu.
Oui, parce que j’avais fait très peu de promotion. Je me sentais vraiment fatigué après l’avoir enregistré. Mais ça me semble loin tout ça !
Tu y abordais des thèmes plus graves que sur le premier, avec des morceaux comme « Liberté chérie » ou « Cherchell ». Cherchais-tu à l’époque à casser ton image de chanteur léger ?
Pas vraiment. Il n’y avait rien de prédéterminé, c’est venu comme ça. Ces choses-là sont plutôt instinctives. Mais c’est vrai que les musiques avaient un côté un peu triste, ce qui peut expliquer aussi pourquoi il n’a pas très bien marché. Je ne l’ai pas beaucoup réécouté, j’espère qu’il y a quand même des choses bien dessus !
Oui, bien sûr. Mais je trouve le son un peu trop lisse, trop « variétés ».
Je pense aussi. Je sentais qu’il fallait que j’arrête un peu tout ça, que j’aille dans une autre direction d’un point de vue sonore. Quand j’ai débuté, je ne connaissais personne dans le métier. On m’a emmené enregistrer en Amérique avec des pointures, mais avec le recul, ça n’avait aucun sens. Il y a d’aussi bons musiciens en France, peut-être même plus originaux.
Le thème de la fuite, la tentation de quitter le train-train quotidien, d’échapper au « système », revient beaucoup dans le nouvel album. C’est quelque chose que tu ressens fortement ?
Oui, mais je crois que c’est le propre de l’homme, cette envie d’aller voir ailleurs, de trouver un endroit… C’est comme le titre de ce fameux livre, « Le pays où l’on n’arrive jamais » (roman d’André Dhôtel publié en 1955, ndlr). Sans doute que, sans m’en rendre compte, je parle toujours un peu des mêmes choses.
Je te vois un peu comme un héritier des chanteurs des années 70, les Joe Dassin, Yves Simon, Gérard Manset, ou même Mike Brant, mais seulement pour les cheveux. Tu penses t’inscrire dans une certaine filiation ?
Je ne sais pas. Rien n’est voulu. Après, si c’est plus une question de look, c’est un autre problème… J’essaie juste de faire les chansons qui, au moment où je les fais, me semblent les plus justes, pertinentes, et de les faire le mieux possible. L’image que les gens peuvent avoir de moi, je ne la maîtrise pas. Je sais écrire et chanter, j’essaie de varier les styles à l’intérieur de ma palette. Le reste m’échappe.
On sent que tes textes sont très travaillés, mais sans paraître trop littéraires. Tu sembles chercher avant tout le mot juste.
C’est sûr. C’est « la double claque », comment disent les rappeurs : quand le mot tombe sur le bon rythme, tac ! Souchon aussi est très bon pour ça. Il sait placer les mots aux moments stratégiques, pour produire un effet maximal sur l’auditeur. Quand il chante, à la fin d’un couplet de « Foule sentimentale », « … un cheval », c’est bizarre, inattendu, ça ne rime avec rien et c’est très fort.
Est-ce que ça t’énerve d’être considéré comme le frère d’Edouard ?
Non, parce qu’en fait on ne m’en parle pas tellement. Il y a peu d’interviews dans le cadre de la musique où la question revient. Ce serait sans doute pénible s’il était chanteur, mais nos domaines d’activité sont différents, même si l’on appartient tous les deux à la sphère dite du spectacle. D’ailleurs, il y a peut-être des gens qui ne savent pas qu’on est frères, qui n’ont pas fait le rapprochement, bien que Baer ne soit pas un nom tellement courant.
Ce troisième album semble celui qui te correspond le mieux.
Oui, je le trouve plus original que les deux précédents, plus radical aussi, moins gnangnan. Il est plus direct, moins maniériste. Il y a peu de changements d’accords. J’ai mis du temps pour y arriver, mais c’est un « vocabulaire » qui me plaît bien. Je me sens désormais dégagé de certaines influences, même s’il en reste sans doute encore.