MELODIUM – La tête qui flotte
(Autres Directions in Music / Musicast) – acheter ce disque
Est-ce que la musique électro permet d’exprimer la moindre spécificité nationale ? Aura-t-on un jour un équivalent électro de la "chanson francaise" ? Pendant quelques années les médias ont tenté d’imposer la
"french touch", mais on ne sait plus si cela a vraiment existé ou si c’était une fiction journalistique. Il faut croire que l’esprit français n’est pas naturellement électronique, et qu’il a toujours besoin d’un prétexte anglo-saxon (paroles, ambiance) pour démarrer les bidouillages musicaux. Quelqu’un devra étudier un jour les rapports entre l’éthique protestante et l’esthétique electronica. Melodium (le Nantais Laurent Girard), représentant d’une tendance aux antipodes des gimmicks french touch, a publié la plupart de ses disques sur des labels à l’étranger (Static Caravan, Audio Dregs, Disasters By Choice). Après le "Anaemia" de l’an passé, ce cinquième album est l’occasion pour le net label Autres Directions In Music de sortir son premier CD. Laurent Girard est surtout connu pour ses harmonies suavement mélancoliques, dans des nuances qui vont de l’electro-blip à une manière plus "warp", en passant par divers samples et bruitages : a priori, rien qui rappelle le "terroir". Après une première écoute, on découvre sur le nouveau CD un univers désormais plus riche et hétéroclite, qui fait penser à plusieurs artistes réunis : Melodium avoue en effet s’ouvrir actuellement à des échanges et des collaborations amicales. Des hybrides inattendus naissent et on aurait du mal à décider dans quel rayon le ranger – folk-pop-rock indépendant ou electronica pointue : certains appellent ça "folk-tronica". Sur certains morceaux surgissent des voix, la sienne, mais surtout celle de son ami Dudley – on dirait le frère d’Aidan Moffatt d’Arab Strap ("Le creux est ma matière première"), sur d’autres les enregistrements de bruits quotidiens reviennent répandre cette atmosphère si spécifique, tantôt mélancolique, tantôt rêveuse. Du coup, quelques-uns des passages sans voix restent vaguement frustrants, comme des accompagnements qui attendent encore leur chanteur. On croit reconnaître aussi un ou deux hommages à Boards Of Canada, les voix d’enfants et les vieux synthés chevrotants compris ("L’attachement aux symptômes" ou "La chanson de Laïs-Salomé"), exercices qui ne manquent pas d’attrait, comme toute étude d’après les maîtres, mais qui gardent trop de respect pour l’incontournable modèle. "Gamm-recomposé" fait penser à un Telefon Tel Aviv voilé, un peu obscurci. L’album traverse quelques courts moments d’essoufflement, de passage à vide. Pourtant, à égale distance de la mélancolie et de la timidité, de petites merveilles de groove abstrait comme "Kill Me With A Smile" et "Emptykuerten" sont la preuve que les talents de Melodium ne s’arrêtent pas aux ambiances sonores, mais qu’ils lui inspirent de vraies trouvailles rythmiques et mélodiques. C’est aussi lorsqu’il ose ne pas rester fidèle à l’esthétique electro-ambient qu’il parvient à faire naître des frissons, comme sur "Mon baromètre mental" avec le son chaud du piano ou sur "greg davis > craig david" avec les guitares froides. Et tout d’un coup, quand on s’y attendait le moins, on réalise que depuis le début on voyageait en France, malgré les apparences : à part quelques titres sur la pochette, il n’y a pas d’autre indice. Patiemment, en quelques disques, Melodium a réussi à creuser un petit sillon qui deviendra peut-être un jour la relève, l’alternative electro "Made in France".
Gabriel
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