MORRISSEY – Live At Earls Court
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"So why do you smile when you think about Earls Court?", s’enquérait Morrissey sur "Haidresser on Fire". C’était dans les années 1990 et le pâle dandy mancunien exilé à Londres n’était pas encore le crooner hâlé réfugié à Los Angeles. Un océan, une décennie et quelques albums les séparaient. Ce concert enregistré l’an dernier à Earls Court, c’est un peu le retour au pays de l’enfant prodigue. Le retour du fils et de l’héritier de… "nothing in particular". Et si l’on sourit à Earls Court, c’est à la fois de bonheur et de nostalgie, lorsque résonnent en ouverture de concert les boucles hypnotiques d’"How Soon is Now".
La plupart des chansons de "You Are The Quarry", hymnes dorés composés sous le soleil angelino, figurent logiquement sur la tracklist. On retrouve aussi quelques incontournables des Smiths, seulement deux chansons du reste de la carrière solo de Morrissey ("November Spawned a Monster" et le décevant "The More You Ignore Me") et une grosse poignée de faces B : le poussif mais entraînant "Don’t Make Fun of Daddy’s Voice", le plaintif "Friday Mourning" et le dispensable "Munich Air Disaster 1958", précédé néanmoins d’une courte mais convaincante reprise du "Subway Train" des New York Dolls. La bonne surprise reste l’entêtant "Redondo Beach", reprise syncopée de Patti Smith : la triste histoire d’une âme à la recherche d’une fille sur une plage de Californie…
Ceux qui connaissent la discographie de Morrissey comme leur poche s’amuseront à comparer ce "live" avec celui enregistré au Zénith dans la foulée de "Your Arsenal", et baptisé "Beethoven Was Deaf". A première vue, la comparaison n’est pas avantageuse pour le Morrissey des années 2000 : la voix est moins virevoltante et l’ambiance dans la salle, moins électrique. Les morceaux sont fidèlement exécutés par un groupe sérieux et appliqué, presque apathique, même lorsqu’il a l’occasion de s’amuser en jouant de la trompette ou du tam-tam. On aurait ainsi aimé que "There is a Light that Never Goes Out", joué platement, s’envole un peu plus. Heureusement, Morrissey s’est trouvé un personnage qui lui va comme un gant, celui du vieux dandy déroutant, du quinqua distingué mais capable d’excentricités de jeune homme. Les hululements suraigus d’antan ont fait place à d’étranges borborygmes et raclements de gorge. Sur "I Like You", le voici qui grogne, râle et se débat comme une bête prise au piège (mais lequel ?). Le chanteur aime aussi se parodier et détourner ses propres paroles, chantant "Yes, i am a freak" sur "November Spawned a Monster". Veut-il qu’on l’aime ? Ce drôle d’animal semble prendre un malin plaisir à tordre le cou à son image, pourtant avantageuse, et à tourner en ridicule ses plus belles chansons. Il y a quelque chose de beau, d’étrange et de biscornu dans ce désamour mêlé de narcissisme, dans ce sabotage retourné contre soi.
Les titres des chansons, curieux mélange de misanthropie et d’appels à l’aide, résument l’inextricable ambiguité du personnage, à la fois mal aimé et mal aimant, adulé et incompris. Après un délicat "Last Night I Dreamt That Somebody Loved Me", tout en retenue et en élégance, Morrissey lance un poignant "don’t forget me" puis quitte la scène. Ces adieux, peut-être les derniers, dévoilent sans doute la fragilité de l’artiste qui, après avoir joué la comédie toute la soirée, lève enfin le masque sur ses sentiments avant de regagner l’ombre. On ne sourit plus…
V
How Soon is Now?
First of the Gang To Die
November Spawned a Monster
Don’t Make Fun of Daddy’s Voice
Bigmouth Strikes Again
I Like You
Redondo Beach
Let Me Kiss You
Munich Air Disaster 1958
There is a Light That Never Goes Out
The More You Ignore Me
Friday Mourning
I Have Forgiven Jesus
The World is Full of Crashing Bores
Shoplifters of the World Unite
Irish Blood, English Heart
You Know I Could’nt Last
Last Night I Dreamt that Somedbody Loved Me