DONOVAN
Cet homme-là, on le connaît depuis toujours. Depuis qu’enfant, le classique pop « Mellow Yellow » est entré dans nos têtes, bien sûr, mais aussi depuis le jour où l’on a découvert, sur une photo mythique, cette silhouette de troubadour frisé tout de jaune vêtu, escortée par Mia Farrow et les Beatles lors de leur voyage en Inde en 1968. A bien y réfléchir, pourtant, on le connaît finalement peu. De la discographie de l’écossais Donovan Leitch, entamée au milieu des années 60, c’est peu dire que de vastes pans demeurent méconnus, éclipsés par l’ombre un poil écrasante de ses « compagnons de promo » plus volontiers adoubés par la postérité (de Dylan aux Beatles). C’est donc avec un commun mélange d’émotion et d’incertitude que l’on s’apprête, au rez-de-chaussée du luxueux hôtel parisien où il fait escale, à le rencontrer. Par chance, l’homme tient une forme olympique. Plus loquace et enjoué que l’on eût osé le rêver, il est bel et bien, à l’approche de la soixantaine, ce papillon gracile et épanoui, ravi d’évoluer depuis toujours dans un écosystème musical bien plus riche que le seul axe folk-baba auquel il demeure souvent associé, et extrêmement désireux que l’on vienne l’applaudir à son prochain concert parisien (le 9 mai, au Trianon). Tentation à laquelle, après écoute de son très décent dernier album « Beat Cafe » et au terme de l’entretien qui suit, on ne se sent guère de résister.
Entre votre précédent album, « Sutras » (1996), et le dernier, « Beat Cafe » (2004), huit années se sont écoulées. A quoi avez-vous occupé ce si long laps de temps ?
(lascif) A paresser… Je suis vraiment paresseux. Mais j’ai besoin également d’être inspiré. Je ne suis pas obligé de travailler. Je suis tellement heureux. Mes publications marchent à merveille, mes anciens albums se vendent bien, tout cela tend à me rendre un peu flemmard. Il y a 3 ans, Linda, mon épouse, ma muse, ainsi que ma famille et mes amis m’ont fait remarquer que l’année 2005/2006 marquerait le 40ème anniversaire de mes débuts de musicien. « Il y a eu l' »Anthology » des Beatles, le « Fourty Licks » des Rolling Stones, maintenant c’est ton tour », m’ont-il dit. Car je suis en quelque sorte le petit frère des Stones, des Beatles, de Bob Dylan, je suis juste un peu plus jeune qu’eux. Je me suis dit : chouette. Je vais finir mon autobiographie, « The Hurdy Gurdy Man », qui est prête et sortira en octobre. Un DVD documentaire va paraître en 2006, nous allons entamer une tournée mondiale en octobre 2005, Sony et BMG ont prévu un coffret de 3 CD, EMI un autre de 4 CD… La fête va bientôt commencer. Néanmoins, j’ai pensé qu’il fallait que je fasse un nouvel album, pour que tout le monde sache que je sais toujours écrire des chansons, enregistrer des disques. Je ne suis pas mort. C’est très important, au moment de célébrer 40 ans de carrière, d’être VIVANT. Il est aussi crucial d’avoir encore des cheveux, d’avoir la forme. Donc j’ai tous mes cheveux, je suis mince (se mettant de profil pour nous prendre à témoin de sa silhouette de jeune homme), en bonne santé. Et je suis impatient de représenter toutes mes anciennes chansons, tous les hits, qui continuent de représenter quelque chose de fort pour la jeune génération. Mais avant cela, il fallait faire un nouveau disque. Je suis donc parti en studio avec le producteur John Chelew, le bassiste Danny Thompson. Et ma femme m’a dit : « tu cherches un batteur ? Prends donc Keltner. (Jim Keltner, batteur de sessions pour à peu près tout le gratin du rock depuis 35 ans, ndlr) » Soudain, on s’est alors retrouvés avec trois Maîtres : Danny Thompson, Jim Keltner et moi ! Et le résultat fut « Beat Cafe ». « Beat Cafe » est une forme d’introduction aux années 40. D’où venaient les sixties ? Des cafés bohémiens, de la scène beat et rhythm & blues des 50’s, du jazz, du folk, de la poésie, de la musique classique, de la musique world, de la musique des Caraïbes, de la littérature, de l’écologie, du féminisme, des chansons anti-militaires… Je voulais donc explorer, ainsi que je le fais dans mon livre, ce qui, avant les Beatles, Dylan, Donovan ou Neil Young, a été le mouvement Beat avec le jazz, le blues, Vogue… Voilà pourquoi ce nouveau disque était important.
Et ce nouveau disque est très enjoué, groovy. On sent que vous avez pris plaisir à le faire.
Yeah man ! Et vous l’aimez ? Ah ! Ca me fait vraiment plaisir, parce que l’ombre des sixties est si écrasante. Quand Mc Cartney ou Jagger publient des albums solo, les gens ont l’air souvent résignés : « Hum… Ca ne vaut pas les Beatles ou les Stones ». Je redoutais vraiment, avec ce nouvel album, qu’on me dise : « Oui, bon, c’est pas mal, mais ça n’est pas du niveau du Donovan des 60’s ». Et finalement, Dieu merci, j’ai obtenu 3 étoiles dans Rolling Stone, 4 étoiles dans The Independent… C’est cool. Je savais que le disque était cool, mais tout le monde allait-il être du même avis ? Et je pense que « cool » est vraiment le terme approprié, car ce n’est pas un disque pop, ni vraiment jazz, ni folk. C’est une « mixture Donovan » (rires)
C’est un disque qui sonne très américain…
Vraiment ? Fantastique ! Mais très celtique, également. On y retrouve cet espèce de mantra, vous voyez, avec ce son de basse extrêmement profond de Danny Thompson. En tout cas, pour moi, Danny est le nouveau Thelonious Monk, c’est vraiment LE patron. Keltner fut extraordinaire aussi. Il ne joue pas de jazz, pourtant. Il a joué sur de merveilleux albums de Ry Cooder, George Harrison, Bob Dylan. Mais ce projet « Beat Cafe » avait une vraie dimension expérimentale, de fusion.
Il y a sur l’album une reprise d’une très vieille chanson américaine, « The Cuckoo ». Pourquoi ce choix ?
OK. Nous étions en studio, avec Jim et Danny, dans ces fameux studios Capitol, à Los Angeles, qui sont l’équivalent américain des studios d’Abbey Road à Londres. Lorsqu’on se balade un peu dans les studios Capitol, on tombe sur des photos de Peggy Lee, Frank Sinatra, Nat King Cole, The Beach Boys. A Abbey Road, c’est la même chose avec Donovan, The Beatles, Cilla Black, le Royal Philharmonic Orchestra. D’emblée, cela crée un feeling particulier. On a enregistré sept chansons en trois jours, sans le moindre accroc. Un beau jour, j’étais en train d’accorder ma guitare ; or assez souvent, sans réfléchir, je joue pour ce faire « The Cuckoo ». Jim Keltner m’a alors demandé : « Quelle est cette chanson des montagnes ? » Il voulait parler de la musique des Appalaches, jouée au banjo. Alors, nous l’avons jouée deux fois. John, notre producteur, a jugé les prises satisfaisantes. Je ne comprenais pas pourquoi Jim était si fasciné par cette chanson, mais il m’a expliqué : « on vient de dépasser (« outcashed ») Johnny Cash ! » Il avait toujours rêvé de jouer sur un album de Johnny Cash, mais n’en avait jamais eu l’opportunité ! Il a donc joué exactement comme s’il avait été lui. Ensuite, nous avons laissé la chanson de côté et avons repris l’enregistrement de « Beat Cafe ». Puis on s’est demandé : « où est donc passé « The Cuckoo » ? » La bande avait été jetée. On a donc décidé de la refaire pour le disque. Car une partie des cafés bohémiens jouait de la musique folk, du banjo, de la musique des Appalaches. Sans la musique des Appalaches, je ne pense pas que la musique pop aurait pu voir le jour en Amérique. Il n’y aurait pas eu le rockabilly. A la base, « The Cuckoo » est une vieille mélodie irlandaise, avec cette espèce de grosse rythmique, boom-tchik-a-boom, qu’on retrouve au Maroc, au Pays Basque, en Bretagne.
Sur « Sutras », vous étiez entourés de nombreux musiciens additionnels (Dave Navarro, Nigel Kennedy…). Sur « Beat Cafe », vous vous êtes recentrés sur ce noyau de 3 musiciens. Allez-vous jouer dans cette configuration là à Paris ?
Jim Keltner ne sera pas là, car il n’aime pas faire des tournées et restera donc à Los Angeles. Quelquefois, en cas de force majeure – si par exemple, le batteur de Dylan s’est coupé le doigt – il viendra à la rescousse de Dylan. Il y a un an, tandis qu’il répétait pour la tournée de Bob Dylan, Bob lui a joué 5 chansons. Jim l’a alors interrompu et lui a dit : « Stop. Arrête de jouer, je connais tes morceaux ». Tout le monde connaît ces morceaux (rires), mais Jim les connaît si bien qu’il n’a même pas besoin de les répéter. Et ce fut la même chose avec « Beat Cafe ». Il lui suffisait d’entendre les chansons une seule fois pour pouvoir les enregistrer. J’ai commencé l’album tout seul, et John Chelew m’a dit : il y a quelque chose dans tes morceaux, une forme de mantra. Il m’a suggéré d’attaquer l’album avec juste cette espèce de secousse vocale, rhââ-hâ-hâ-ha… Pas de chanson, pas de contrat, pas de manager, pas de tournée. C’était vraiment un projet Beat, dans l’esprit. Puis Danny nous a rejoint. J’ai écrit « Love Floats », et le mantra est vraiment le fil conducteur du disque. J’ai ensuite pensé à écrire des chansons en fonction du jeu de basse de Danny. Vous connaissez « Fever », de Pegy Lee ? (mimant le son de basse de la chanson) , « Doum – doum – doum… ». J’ai voulu écrire une chanson dans le même esprit. C’est là qu’on a réalisé qu’on était en train de faire une forme de folk-blues-classique bohème. Et nous nous sommes dits : restons en trio. J’ai refusé qu’on prenne un claviériste supplémentaire. John Chelew s’est occupé de jouer du clavier, bien qu’il ne soit pas claviériste à proprement parler. Et c’était aussi bien. Dans une formation à 3, que vous preniez Cream ou Hendrix, vous ne pouvez pas vous louper. Cela maintient un grand espace entre chaque instrument. Pas besoin d’harmonica non plus. Juste le trio. « The simpler, the better ».