FRANÇOIZ BREUT, TROY VON BALTHAZAR – L’Européen, 1er Avril 2005
La prestation de Troy Von Balthazar, chanteur des estimés Chokebore, était peut-être finalement l’authentique poisson d’avril que Françoiz Breut a cherché une partie de la soirée. Venu seul sur ses scènes défendre ses chansons, avec pour seules armes voix, guitare, pédales à effets et petit magnétophone, il a imposé, le temps de quelques morceaux, une présence pour le moins décalée, ironique, et parfois à la limite de l’inquiétant. On commence par ne pas bien comprendre à le voir chanter, à se décrocher la mâchoire et à trois pas du micro, si les sons qui sortent sont bien les siens, puis on se dit que oui, que c’est là une belle voix, puissante et émouvante, et que ces contorsions ne sont que le moyen d’exprimer (au sens étymologique) la plus grande variété de nuances. On prête alors plus d’attention au set qui continue à prendre des allures étranges : décontenancé par un public plutôt tiède, Troy répète avec insistance qu’il est très content d’être là ce soir, enchaîne avec une blague sur son dernier quasi crash aérien, égrène les paroles troubles ( "We fuck like horses", "I like your eyes / They see me twice / They reflect me so perfectly"), hoche la tête à contretemps de ses rythmes électro, filtre sa voix pour la transformer en celle d’un monstre droit sorti d’un cauchemar lynchien, s’allonge sur le sol et autres plaisanteries. Puis se relève en souriant, pour remercier le public et lui rappeler son nom. Pour sûr, ce dernier ne l’oubliera pas. D’autant moins que, fin stratège, le musicien tire sa révérence sur une délicate interprétation du "Farewell Angelina" de Dylan qui dissipe tout doute possible sur ses goûts et ses dons vocaux.
Le concert de Françoiz Breut ne sera pas non plus avare de reprises (Peggy Lee, Françoise Hardy revisitée par Os Mutantes, Rita Mitsouko), et l’on n’aura pas davantage le loisir de mettre à défaut la voix de la dame : des attaques toujours mordantes, des finales un peu évanescentes, toute cette grâce mériterait d’effacer, pour un seul couac, la grimace qui passe sur son joli visage. D’autant que, pour ce qui est du goût, la formation scénique choisie (un claviériste qui passe avec aisance de l’orgue à la programmation, en passant par le xylophone ; un bon guitariste et un batteur qui sait tenir sa place, sauf sur un "Vingt à trente mille jours" un peu martelé) en est aussi preuve. Nombre de morceaux du répertoire ont été retravaillés dans l’esprit rock mariachi de Calexico (Joey Burns ayant plusieurs fois composé pour Françoiz), le son est ample, les musiciens prennent visiblement plaisir à expérimenter un peu sur scène. La meneuse se pose parfois en retrait du groupe, laissant oeuvrer les musiciens ou se contentant d’interventions ponctuelles et anecdotiques (jouer trois notes de guitare, quatre de xylophone, changer les vinyles sur le pick-up), mais quand elle est au micro, elle impose naturellement sa présence. Et d’une certaine manière, c’est surtout grâce à elle que les vrais moments d’émotion naissent : devoir attendre les reprises pour profiter pleinement du "Km 83" ou du toujours saisissant "Everyone Kisses a Stranger" peut paraître frustrant, surtout quand on a attendu en vain "Portsmouth" ou "Si tu disais", mais ces petits miracles viennent à point nommé. Même si Françoiz Breut n’est pas une musicienne née (qui le lui reprocherait ?) ni l’interprète la plus à l’aise dans les langues étrangères, son charme et sa modestie, un charisme vocal assez singulier (femme enfant fatale, ça existe ?), enfin sa curiosité musicale extra large se montrent cette fois encore particulièrement précieux.
David Larre