Momus vit à Berlin dans l’ex-Stalinallee, une avenue gigantesque longée d’immeubles monumentaux construits à la fin des années 40 pour les membres du parti communiste est-allemand. Elle a été modestement rebaptisée : c’est désormais Karl Marx Allee qui abrite un des auteurs pop les plus originaux et les plus stimulants, Momus, alias Nicholas Currie. Deux posters de Lénine et de Marx, un Mac sur lequel il réalise son site imomus.com, des livres et des magazines, un sofa et une énorme sculpture : c’est tout ce dont a besoin cet observateur malin de la société et de lui-même pour continuer à composer une pop exigeante, provocatrice, satirique et légèrement intello.
Vous avez été élevé dans plusieurs pays, suivant vos parents, professeurs d’anglais à l’étranger. Qu’en avez-vous retiré ?
J’ai en effet vécu avec mes parents en Grèce, au Canada mais aussi en Ecosse. Ca a eu une grande influence sur la manière dont j’appréhende les cultures : désormais, je suis profondément relativiste. J’ai fini par voir mon propre pays comme aussi exotique que les autres. A mon arrivée en Grèce, à 9 ans, j’ai tout de suite senti, en sortant de l’avion, que tout serait différent. Il faisait chaud, les lumières étaient vives, il y avait des citronniers, des insectes énormes dans le jardin… En plus, il y avait des filles dans mon école, impression physique très forte à un âge où on fait des découvertes sexuelles comme ce premier orgasme que j’ai eu dans ma petite chambre à Athènes. En Grèce, j’avais tendance à exagérer mon côté écossais, ce qui me rendait très exotique aux yeux de mes camarades de classe… Mais à mon retour en Ecosse, je me suis retrouvé dans une pension, sans doute le moment le plus malheureux de ma vie. Là, je faisais semblant d’être Grec et ça a continué par la suite, je fais toujours comme si je venais d’ailleurs.
Vous avez continué à bouger : Londres, Paris, New York, Tokyo, maintenant Berlin, toutes ces villes en très peu de temps…
J’ai toujours vécu dans des villes, des villes-Etats, qui ont bien des points communs. On pourrait me reprocher de ne vivre que dans des villes « tendance », ou dans les quartiers « tendance » de telle ou telle ville. Les personnes que j’y rencontre sont presque toujours des indépendants, des artistes, des gens qui vivent à la marge qui n’éprouvent quasiment aucun sentiment national. En fait, je vis dans un petit monde fait d’art et de flux… C’est d’autant plus important que les villes-Etats finissent par avoir plus de pertinence que les Etats eux-mêmes. Actuellement, je n’ai pas vraiment l’impression de vivre en Allemagne. Je vis à Berlin, une ville-Etat qui est connectée aux villes-Etats de Brooklyn, de Londres, de Paris… comme s’il y avait des lignes de métro entre toutes ces villes… J’ai habité dans des quartiers multiculturels, multiethniques, dynamiques, autour desquels gravitent les artistes. De ce fait, la plupart des Blancs me paraissent plus étrangers que les autres, mes petites amies étant le plus souvent originaires de minorités ethniques. C’est peut-être ce que Freud appelle « le narcissisme des différences mineures » : les relations peuvent être difficiles avec les personnes qui nous ressemblent le plus, on les fuit car elles nous renvoient notre propre image, une image qu’on n’accepte pas.
Pouvez-vous raconter vos débuts musicaux ?
J’ai écrit ma première chanson à 7 ans. Mon père étudiait l’acquisition du langage chez l’enfant, il voulait faire des enregistrements de terrain et me disait « fais des sons, chante, raconte une histoire, fais ce que tu veux avec l’enregistreur ». Une de mes premières chansons, plus ou moins improvisée, a pour titre I Can See Japan, morceau caché sur l’album Little Red Songbook. « I can see Japan, I can see the mountain-tops and I can see your images, but maybe best of all I can see your love » sur l’air de I Can See For Miles, des Who. J’étais déjà un singer songwriter des années soixante…
Quel a été votre premier instrument ?
En fait, mon premier instrument a été cet enregistreur. J’avais aussi un piano. Je ne savais pas comment jouer, alors je mettais du papier toilettes sur les cordes, je tapais dessus avec des bouts de bois, pour faire des percussions. J’écoutais aussi les cassettes d’apprentissage de l’anglais de mon père, avec des dialogues comme « Il y a un éléphant dans le jardin qui veut rentrer dans la maison – Ne le laisse pas rentrer dans la maison » et j’en faisais des chansons.
Pouvez-vous raconter vos débuts en tant que musicien?
Mon premier album, avec le groupe The Happy Family, date de 1982 : The Man on Your Street, avec d’anciens musiciens de Josef K. L’album raconte l’histoire d’un dictateur suisse et des brigades rouges italiennes. Il y a un côté oedipien à cet album, comme quand Fassbinder tournait un film sur un gang d’enfants devenant terroristes et assassinant leur beau-père dictateur.
Pourquoi « Momus » ?
Je suis devenu Momus en 1985 alors que je vivais à Londres, à la sortie de mon premier album solo, Circus Maximus. Le nom vient de la mythologie grecque, c’est le dieu de la moquerie. C’est un dieu irrévérencieux qui se moque des gens, qui s’élève contre l’autoritarisme. Ce nom sonnait un peu comme Bowie, mais si je l’ai choisi, c’est surtout parce qu’il s’agissait d’un des dieux grecs, et non d’un Dieu unique à vénérer. Ces dieux ont des traits humains et vivent de grandes aventures.