A qui voudrait voir dans le rock un mode d’expression réservé aux seuls Anglais et Américains, le Café de la Danse a prouvé lundi le contraire, en programmant dans la même soirée de valeureux représentants d’une scène bien en forme, issue de France et de Norvège… A nous deux l’Europe !
Contrairement à une partie non négligeable du public, au vu des applaudissements et autres cris qui en débordent, je ne connaissais pas Cyann and Ben avant de les voir sur scène ce soir-là. Ce fut donc une excellente surprise. Le premier morceau plante tout de suite le décor d’un post-rock tour à tour lent et explosif (post-rock classique en somme ?). Evoluant dans ce genre difficile, les Français de Cyann and Ben tirent d’emblée leur épingle du jeu. On est d’abord séduit par celui du batteur, nerveux mais fin, sec et tendu. Les coups de baguettes ou de balais, tout en retenue, donnent au son un caractère d’urgence, de soudaineté et lui confèrent une forme de violence latente qui tient en haleine. Cette violence est là, flottante, toujours accessible, toujours à portée de guitare, instrument avec lequel le chanteur se montre d’ailleurs particulièrement à l’aise, mais le groupe n’en abuse pas. Le quatuor met autant d’âme à instaurer une atmosphère, dans sa lenteur mélodique, qu’il se plaît à la détruire, dans une avalanche de sons noyés sous l’électricité. Le piano, dans ce contexte, est aussi bienvenu qu’inattendu et parvient à maintenir, par touches diffuses mais percutantes, un degré de finesse louable dans les compositions. On apprécie également l’alternance entre la jolie voix de la chanteuse et celle du guitariste/chanteur, et plus encore les passages où leurs deux timbres s’unissent dans un même phrasé. On craint un moment la surenchère bruitiste, écueil traditionnel de ce style de musique, et qu’on aurait d’ailleurs été prêt à pardonner en cette occasion, mais le public donne à Cyann and Ben l’occasion de confirmer l’excellente impression qu’on s’était faite, dominante pendant tout le concert. Une fois la scène vide, la salle s’enflamme, les applaudissements ne cessent plus, et une standing ovation accueille le groupe, revenu des coulisses pour se prêter au jeu du rappel. On en vient à oublier qu’il s’agissait d’une première partie.
Pourtant, il y a bien un autre groupe ce soir-là. Avec une bonhomie sympathique, les membres de Minor Majority arrivent quelques minutes plus tard sous la lumière de la scène, sourire aux lèvres. Le concert commence sans un mot sur les premières notes tout en langueur de « Think I’m Up For You And I ». Tout de suite, on comprend que la deuxième partie sera à la hauteur de la première (un comble !). La grande force du groupe est de parvenir à créer, avec un naturel déconcertant, une ambiance intimiste et confinée, malgré la présence de cinq musiciens sur scène. La voix de Pal Angelskar, sous sa barbe de dix jours, y est évidemment pour beaucoup. De teneur toujours aussi étrangement familière, avec sa consistance caractéristique, presque veloutée, elle a plus de charisme encore que sur disques et sait se montrer plus grave, plus pleine, aux moments où il faut, et plus légère, plus fragile, aux moments où il faut. Lorsque le groupe (réduit ponctuellement à un duo voix / guitare) se livre à l’exercice de la reprise, celle de Nick Drake, en l’occurrence, on saisit la filiation entre les deux chanteurs, aux timbres tout à fait opposés mais complémentaires. Dans son ensemble, le set est l’occasion pour le groupe de proposer au public parisien une palette représentative de l’intégralité de sa carrière, alternant entre des titres de leurs deux albums distribués en France (« If I Told You, You Were beautiful », réédition du premier album, vient d’ailleurs de sortir officiellement à l’intérieur de nos frontières) et des strictes nouveautés, le tout dans une atmosphère très détendue. On note notamment la confiance de Pal Angeskar, qui n’hésite pas à interrompre complètement une chanson en cours pour signifier à quel point il est heureux d’être présent ce soir là et de jouer devant un public français, qu’il apprécie particulièrement pour son silence. On repère également la constance de son sourire, que celui-ci soit adressé au public, à une partie de celui-ci plutôt, ou aux autres membres du groupe. La communication ne se fait pas seulement par l’intermédiaire de la musique en effet. Notre homme est volontiers disert, légèrement bavard même… Arrive un stade où il ne peut même plus s’empêcher d’annoncer les chansons à venir, alors même qu’il attire l’attention de l’audience sur l’absurdité de la démarche. Pour « Dancing in The Backyard », dont la version originale est un duo très efficace avec chanteuse, c’est un tube à échelle norvégienne qui est annoncé. Sur scène, le titre est passé à la moulinette folk, plus sobre, pas moins émouvant. Face à la présence touchante du groupe, la qualité des compositions, le plaisir très manifeste de chacun des membres à être là, on oublierait presque la manie qu’a le chanteur de se prendre pour Pete Townshend à 20 ans, et de faire des concours de sauts en hauteur (ou en longueur, selon les cas) à la fin de certaines de ses chansons (qui ne sont pas tout à fait calibrées pour faire des pogos). Mais bon, il a l’air tellement sympathique par ailleurs qu’on lui pardonne sans peine.