DANS LA SÉRIE DES INAPERÇUS 2005 – Los Chicros, 1=0, Spleen, Maarten, Sweet Apple Pie, Discover, Tchiki Boum, British Hawaii, Kimlico, Amadeus Tappioka, Spy, Madame De C***
Mercredi 16 février
La deuxième journée de cette 9ème édition des Inaperçus offre dès l’arrivée au Glaz’art un constat sans appel : il y a bel et bien un effet CQFD. Tandis que la veille au soir, la présence de trois figures de proue des récentes éditions du radio-crochet des Inrocks avait suffi à garnir copieusement les lieux, le line-up de ce mercredi – à notre goût pourtant plus alléchant – semble peiner à appâter le chaland. La salle se remplit tout de même peu à peu pour ce qui s’annonce la soirée la plus véritablement pop de toute la semaine.
Olivier Brion, fer de lance d’une certaine conception du genre à l’époque (début 90’s) de The Yachines, incarne à lui seul le projet Discover. Il devait, au départ, sévir avec un bassiste lui ayant fait faux bond, et joue sur le clavier des Sweet Apple Pie – on a connu conditions plus idéales, reconnaissons-le. Le garçon aime la Californie, Brian Wilson, Cassavetes, les lunettes de soleil aux teintes extravagantes et la Motown. On serait bien en mal de lui reprocher ces vices, que l’on partage avec une même avidité (sauf les lunettes), mais le fait est que quelque chose cloche dans son approche de la musique. Débutant, de façon assez prometteuse, avec une version de "Summerstereo" toute en orgue Hammond, chantée d’une voix fluide et délicate, son set fait assez rapidement piquer du nez. Une citation du "Love Vigilantes" de New Order et une reprise acoustique de "Lost In The Supermarket" de Clash sont d’assez pâles consolations en regard de chansons comme "Gena Rowlands", à la fois en panne d’inspiration mélodique et plus généreuses en clichés sur les Etats-Unis que l’intégrale de Benjamin Biolay. Lorsqu’elle semble ainsi balisée et révérencieuse, la pop peut se révéler aussi mortifère que le jazz envisagé par Harry Connick Jr. Dommage, donc, de la part d’un homme qu’on sent apte à façonner un univers plus personnel et aventureux.
Les rouennais de Maarten, présents au générique de la compilation POPvolume#4 mais aussi du dernier CQFD, s’étaient déjà produits aux Inaperçus en 2001. Ils ne sont donc pas tout à fait nés de la dernière pluie, et l’on sent du reste que leur formule scénique est joliment rodée. Très appliqué, le groupe (guitare-basse-violon-clavier-trompette-batterie) distille une musique moins immédiatement accrocheuse que celle de Discover, mais paradoxalement plus captivante, pour laquelle l’adjectif "automnal" semble avoir été créé. Sous ses dehors un poil jansénistes, celle-ci ne tarde pas à faire valoir de vrais tours de force mélodiques, à l’image des désormais fameux "At A Copenhagen Theatre" et "The Only Thing I Know". Ayant la bonne idée de dérider l’ambiance par quelques traits d’humour pince-sans-rire, Maarten fait par ailleurs étalage d’un spectre d’influences de premier choix, évoquant – trompette aidant – Love et les Tindersticks de "Curtains", ou encore – question de mimétisme vocal, cette fois-ci – le versant le plus mélancolique des disques de Colin Blunstone. Un léger bémol, peut-être quant à l’utilisation parfois un peu lourde des contrastes silence/bruit, mais rien de très contraignant. "C’est notre tube de l’été 99 !" lance le violoniste du groupe en prélude à un titre plus instantanément pop – l’ironie de l’expression "tube", le concept même d’"été 99" et les souvenirs immédiats de ce que l’on écoutait et était alors contribuent à rendre l’instant délicieusement nostalgique.
Sweet Apple Pie représente tout ce que peut avoir de réussi une musique pop-rock made in France d’obédience anglo-saxonne : paradoxe. Et ils le prouvent de façon encore plus flagrante sur scène, leur grande spécialité. Discrets, sans artifices mais très à l’aise, les toulousains proposent la musique à la fois la plus pro et la plus fraîche que j’ai vue sur deux jours du festival. Une musique pétaradante et euphorique, certes très référencée (pour faire vite, entre Apples In Stereo et Supergrass) mais décomplexée et admirablement bien jouée par un groupe soudé. Le répertoire est quasi-exclusivement composé des morceaux de leur dernier album, du sucré "Harder Than We Thought" au psychédélique "Oyster" (le moment où les fumigènes entrent en action) en passant par tous les petits concentrés d’énergie positive de leur galette. A la fois pop (mélodies entêtantes, refrains colorés portés par des harmonies vocales impeccables, de quoi hocher la tête de gauche à droite) et rock (section rythmique carrée et puissante, volume sonore ad hoc, interventions guitaristiques presque garage – de quoi hocher la tête d’avant en arrière), la musique de Sweet Apple Pie réconcilie le meilleur des deux mondes. Certes, on ne peut prétendre que ces jeunes gens proposent quelque chose de radicalement neuf. Pourtant, en une heure de concert ils arriveront à nous faire croire que la pop reste un terrain de jeu immaculé – la belle illusion. Grands gagnants à mon plaisiromètre, les Sweet Apple Pie m’auront fourni des remontants pour le restant de la semaine – le plein de mélodies et de vitamine C.
Julien et Laurent