DANS LA SÉRIE DES INAPERÇUS 2005 – Los Chicros, 1=0, Spleen, Maarten, Sweet Apple Pie, Discover, Tchiki Boum, British Hawaii, Kimlico, Amadeus Tappioka, Spy, Madame De C***
Mardi 15 février
1=0 ouvre le bal. Vêtu d’un boubou bleu et pieds nus, le chanteur-guitariste-flûtiste Salima Tej joue le décalage. Pas de sensualité africaine, bien au contraire. Une musique blanche voire blafarde, nihiliste et fiévreuse dans l’axe Programme/Encre. Guitares hachées post-hardcore à la Shellac ou plus délicates à la Arab strap, boîte à rythmes martiale, samples, paroles jouant volontairement dans le registre du sordide quotidien, déclamées brutalement ou chantées… Si on peut reconnaître à 1=0 une certaine intensité et un côté dérangeant, leur musique semble encore en gestation. D’où peut-être leur hésitation entre le spoken-word en français et un rock plus conventionnel en anglais. La première option est la plus personnelle et la plus convaincante, mais manque malgré tout de radicalité et de force, la faute notamment à une boîte à rythmes un peu cheap – peut être l’utilisation d’une vraie batterie permettrait-elle au groupe d’assumer pleinement son côté lugubre et violent. Quant aux reprises (Joy Division et Kraftwerk), si elles éclairent les ambitions du groupe (un machinisme tout en tensions), leur interprétation ne fait que souligner la distance qui sépare encore les intentions des réalisations. A suivre donc, en espérant que le fond (du trou) trouvera une forme plus appropriée.
Etrange sensation, que celle éprouvée à l’arrivée sur scène des parisiens de Los Chicros. A notre connaissance, et même si la comparaison a dû leur être exposée maintes fois, il faut vraiment remonter aux premières apparitions scéniques de Grandaddy pour se souvenir d’une telle impression de non-look à tous les étages, de fratrie d’ours mal léchés, barbus et un tantinet hagards. Qu’à cela ne tienne, comme pour contrer par avance les commentaires portant sur leur allure, ils attaquent pied au plancher par une série de titres interprétés avec une compacité et une cohésion de groupe rares, dont on ne saurait définir le pedigree exact (indie-psyché-pop-prog ?) mais plutôt réjouissantes. Mais les Los Chicros sont, semble-t-il, encore au stade où ils refusent de se scléroser dans un seul style, fût-il gouleyant. D’où un set qui part très vite dans de multiples directions, pas toujours avec bonheur. On conçoit par exemple que l’imposant mille-feuilles de voix de leur "Back In The Wild" ne soit pas aisément reproductible sur scène, mais est-il pour autant indispensable de lui substituer un exercice funky-pop pénible à la Phoenix ? Entre clins d’œil énergiques à quelques grandes figures pop (Beatles – la ligne de basse de "Taxman" -, Costello, les Cars…) et divagations plus enfumées et abstraites, les chansons suivantes épousent ainsi un mouvement de balancier incertain. Un long morceau final étonnant, à mi-chemin d’Utopia et de Television, se charge quant à lui de rappeler que ce groupe est sans nul doute prometteur, mais doit encore affiner son trait.
Spleen, vainqueurs du dernier CQFD, étaient attendus au tournant. En effet la fusion hip-hop/soul/r’n’b annoncée pouvait être prometteuse sur le papier. Las, la scène révèle l’échec patent de la tentative. L’introduction du concert est cependant alléchante : un rap solo sur un sample de guitare rythmique minimale et funky. Mais dès que l’ensemble du groupe (je n’ai pas pu les dénombrer : 8, 9 ou 10 musiciens et choristes ?) rejoint son leader, on a affaire à une musique certes pro mais pataude et peu originale – une déclinaison de tous les clichés hiphop/r’n’b sans une once de real soul. Les citations diverses (Ann Peebles, Hendrix, Nougaro…) ne seront pas d’une grande consolation. Le tout s’enchaîne devant un public de moins en moins enthousiaste que les grosses ficelles du "métier" ("Vous êtes chauds ?") ne réveilleront guère. Le seul sursaut viendra du morceau acoustique solo où, enfin, la voix (magnifique à ce moment là) et la sensibilité de Spleen pourront éclore, pas très loin du Ben Harper des débuts. On ne remet pas en cause la sincérité du bonhomme. Comme il le dit à un moment de façon poignante : "La musique c’est toute ma vie. Si vous ne réagissez pas, ça veut dire que le groupe est mauvais". Que répondre à ça ? Qu’effectivement, Spleen a probablement fait de mauvais choix, demeurant coincé entre des envies et des ambitions totalement divergentes. Et il le prouvera encore dans le dernier morceau du concert, tentative artificielle et un peu pathétique de faire danser le public sur un rythme afro à rallonge. Pour ma part, je rentre me coucher, non sans avoir passé un Sly Stone pour me remettre de l’innocuité de ce final.
Julien et Laurent