THE WEDDING PRESENT – Take Fountain
(Talitres / Chronowax)
Il y a des albums qu’on ne sait jamais quand écouter. Trop agressifs et trop rêches pour le matin, pas assez sautillants pour le soir. On ne sait à laquelle de nos humeurs les marier, ils ne sont jamais dans le ton. Pas assez guillerets pour donner le sourire, pas assez mélancoliques pour consoler. Toujours dans un entre-deux inconfortable. Les albums de Wedding Present sont de ceux-là. Leur indécision, qui est la nôtre, fait aussi leur charme. "Take Fountain" n’échappe pas à la règle. L’album serpente entre morceaux austères et apaisés, et chansons tendues, de sorte qu’on ne sait jamais si l’on doit monter ou baisser la lumière, écouter debout, assis ou allongé. Cruel dilemme ! Prenez "Don’t Touch That Dial". C’est un morceau lent, calme et sans grand relief, qui s’ébroue soudain au refrain, toutes guitares et cymbales dehors. Cinq minutes à cette cadence heurtée, puis de jolis arpèges de guitare mélancolique et quelques touches de piano délicates nous cueillent dans un quasi silence, avant d’être à leur tour happés sans transition par la basse agressive et la batterie costaude de la chanson suivante, "It’s For You". Et ainsi de suite.
Parmi les interludes calmes, ces instants fragiles où David Gedge, le leader du groupe, ne martyrise pas sa guitare, signalons d’étonnantes séquences western que n’aurait pas reniées Ennio Morricone. Les six minutes d’"Interstate 5", tout en fureur rentrée, se clôturent ainsi dans une ambiance planante à la Sergio Leone : une guitare égrène des notes lascives et menaçantes, des trompettes mexicaines entonnent un air funèbre, et l’on s’attend à voir Clint Eastwood, poncho et regard d’acier, apparaître dans l’entrée d’un carmel abandonné. Le morceau se finit sur le souffle de dustbowls imaginaires emportées par le vent.
Non, David Gedge, le Lucky Luke de la guitare, n’a pas pris sa retraite, il s’autorise seulement quelques impromptus exotiques, et quelques belles ballades, comme le tendre "Mars Sparkles Down On Me", proche des atmosphères rêveuses de Yo La Tengo. Le vieux cow-boy sait encore manier son colt, mais il a appris à en faire un usage plus modéré.
Reste le mystère de ces chansons qu’on ne sait où ranger. Ici, les ballades sont coriaces, parfois lourdaudes ("Larry’s"). Là, les saillies nerveuses ne vont pas sans douceur. Même le single, "I’m From Further North Than You", n’est pas facile à cataloguer, pas franc du collier. Peu convaincant à la première écoute, il finit par faire son chemin et s’immiscer dans la caboche. C’est le problème avec les francs-tireurs, de Clint Eastwood à David Gedge : on les croit bons, ils sont brutes, ou alors truands. On ne sait jamais comment les prendre. Et c’est quand on croit les connaître qu’ils vous filent entre les mains. Ce qui n’est peut-être pas plus mal.
V
On Ramp
Interstate 5 (Extended Version)
Always the Quiet One
I’m From Further North Than You
Mars Sparkles Down On me
Ringway To Seatac
Don’t Touch That Dial (Pacific Northwest Version)
It’s For You
Larry’s
Queen Anne
Perfect Blue