Ca file un joli coup de vieux mais c’est ainsi : les éternellement fantasques Super Furry Animals, trublions gallois surdoués apparus au creux de la vague brit-pop, ont presque dix ans. Et leur leader et maître à penser, Gruff Rhys, est de passage à Paris pour promouvoir son premier disque solo, « Yr Atal Genhedlaeth », entièrement écrit en gallois et enregistré en une poignée de jours. Dans les locaux de Radio Campus Paris, Gruff (prononcez « Griff ») apparaît exactement comme on se l’est toujours représenté : ne quittant pas son bonnet malgré une température élevée, gratouillant ses nouvelles chansons sans chichis et à la bonne franquette, accompagné d’un special guest en forme d’oisillon factice en cage produisant des « cui-cui » synthétiques du plus bel effet. Le fait de buter à trois reprises sur un changement d’accords récalcitrant de « Pwdin Wy 2 » ne lui fait pas perdre le sourire. Bref, cet homme qui semble porter en lui de façon innée la coolitude après laquelle Damon Albarn court depuis toujours, a l’air sincèrement heureux de s’épancher sur son projet solo, le futur de son groupe et la musique en général – on serait drôlement bégueule de ne pas l’être autant que lui.
En enregistrant cet album solo, avais-tu pour objectif de produire un disque un peu plus « lo-fi » et modeste que les récents albums des Super Furry Animals ? Sur le premier titre, par exemple, il semble assez révélateur qu’il n’y ait que ta voix accouplée à des percussions…
Non, le but n’était pas de sonner « lo-fi » – je trouve d’ailleurs que le distinguo hi-fi/lo-fi n’a plus vraiment de sens aujourd’hui. Mais c’est vrai que l’idée était de faire un disque très simple, avec très peu d’arrangements. Concrètement, je suis allé chez mon vieil ami Gorwell Owen et ai enregistré beaucoup de titres avec lui. Une fois dans son home-studio, j’ai couché sur bande, à l’aide d’un 4-pistes, des idées de chansons pour ne pas les oublier. J’avais tendance à être un peu fainéant, alors voilà : je suis allé chez mon pote et ai enregistré environ vingt chansons, dont plusieurs en Gallois – comme « Gwn Mi Wn », celle qui ouvre l’album, et qui s’est révélée la chanson la plus facile à enregistrer de toute ma carrière, avec juste des percussions et une ligne mélodique vocale. J’ai aussi écouté beaucoup de musique électronique brésilienne ces temps-ci, qui par plusieurs aspects est proche de la Miami Bass, mais en beaucoup plus mélodique, avec des parties vocales chantées.
Qui par exemple ?
En particulier des compilations de DJ Marlboro, que j’ai découvert par hasard et qui a une façon extrêmement rafraîchissante de chanter. Bon, évidemment, je ne souhaitais pas faire un disque d’électro brésilienne, mais j’ai essayé d’y puiser cette forme de simplicité qui en émane. Sur une base de cinq chansons, nous nous sommes dits : « il y a quelque chose d’intéressant à faire, là. Peut-être pourrions-nous tenter un album entier dans cette veine, juste pour le fun ». Il ne nous a pas fallu plus d’une semaine. On a parfois utilisé davantage d’instruments, comme sur le deuxième titre, qui comporte une guitare et un clavier, mais ça restait tout de même assez basique. Donc voilà, tout cela a été mis en boîte sur l’humeur du moment, juste pour le plaisir. Ca a été vraiment agréable à faire.
C’est la deuxième fois de ta carrière que tu publies un album entièrement chanté en gallois, après « Mwng » (2000) des Super Furry Animals. Peux-tu nous expliquer ce que représente pour toi le fait de chanter dans cette langue ?
Le gallois est ma langue maternelle. J’ai appris l’anglais à l’école, et aussi grâce à la télévision, mais je viens d’un milieu de culture majoritairement galloise – les gens de la vallée dans laquelle j’ai grandi parlent gallois. C’est donc très instinctif et naturel pour moi d’écrire dans cette langue. Cela dit, la plupart des disques que j’ai écoutés en grandissant étaient enregistrés en anglais, ce qui, à l’évidence, a joué dans ma décision de chanter aussi en anglais. Avant que l’on forme les Super Furry Animals, j’étais chanteur dans un groupe de langue galloise, avec qui nous avons publié 3 disques chantés entièrement en gallois. C’est donc un processus très naturel pour moi, une forme d’expression originelle. En termes d’enregistrement, ça reste instinctif. Si le gallois était une langue d’envergure internationale, je l’utiliserais quand même pour chanter, mais ça n’aurait pas la même signification. Comme nous ne sommes qu’un demi-million de personnes à le parler, ça a une résonance politique – d’autant que la langue n’est toujours pas officiellement reconnue. Dans une certaine mesure, chanter en gallois est pour moi un acte politique, même si mes textes parlent de corn-flakes ou de diverses choses du même acabit… (rires)
Le dernier titre, « Chwarea’n Troi’n Chwerw », est l’un des moments forts du disque. Apparemment, il s’agit d’une reprise d’une chanson qui a un sens particulier pour toi…
Oui, son enregistrement a été une expérience très cathartique. Je n’ai d’ailleurs pas dit à l’ingénieur du son de quoi il s’agissait exactement. Ca l’aurait rendu fou car c’est en fait une chanson de langue galloise extrêmement populaire, un genre de power-ballad à la Jennifer Rush ou Céline Dion. Après, j’en ai modifié certaines paroles pour lui donner un côté plus « psychopathe » et certains accords pour la rendre plus sombre. En fait, je me suis efforcé d’extraire le cœur de la chanson, et de la remodeler entièrement. J’ai eu l’idée d’agir ainsi en entendant une interview à la radio de son auteur, Carol Barry-Jones, qui expliquait qu’elle n’en pouvait plus elle-même, de cette chanson. De toutes celles qu’elle a écrites, c’est la seule que les gens lui disent vouloir entendre. Cette reprise est aussi un moyen pour moi de saluer son songwriting, car elle est l’une des rares femmes compositrices-interprètes prolifiques du Pays de Galles. Disons que ma version est à mi-chemin de l’hommage et du… meurtre (de la chanson) ! (rires)