BRIAN WILSON – Smile
(Nonesuch)
"Il y a bien des années, nous avons enregistré un album intitulé Smile. Et… il devrait, enfin, sortir cette année !" Ainsi s’exprime Mike Love, frontman aussi controversé que capillairement dépourvu des Beach Boys, face à l’auditoire du Carnegie Hall de New York, le 26 novembre… 1972. Soit, finalement, 5 ans après la conception et 32 ans avant la sortie officielle du disque qui, rappelons-le, devait à l’époque asseoir la suprématie artistique des Beach Boys sur les Beatles, enfoncer "Pet Sounds" même et, en toute simplicité, délivrer une "symphonie adolescente à Dieu".
Dans l’intervalle, forcément, quiconque s’est intéressé de près à l’histoire de Brian Wilson et de ses Beach Boys, ainsi qu’aux diverses raisons qui firent capoter ce projet fou (pour résumer : un âpre cocktail de paranoïa, d’insatisfaction, de querelles internes et de drogues dures) a un jour tenté de constituer sa propre version du puzzle maudit "Smile", au travers des titres des sessions de 1966-67 disséminés dans la discographie officielle du groupe, de divers coffrets et de disques échangés sous le manteau. En vain.
Jusqu’à 2004, année d’une remise à flots sans précédent dans la carrière de Brian Wilson.
Avec le recul, on se rend compte en effet à quel point "Gettin’ In Over My Head", album solo paru l’été dernier, et "Smile", pour dissemblables qu’ils soient, relèvent de la même et dantesque entreprise de réhabilitation de pans entiers de la discographie jamais publiée du mentor des Beach Boys. Le fait aurait mérité d’être plus rappelé : seules deux compositions de "G.I.O.M.H." furent écrites récemment et pour le disque, les onze autres provenant de sessions remontant aux années 80 et 90. Le résultat, inégal et décousu, avait le mérite de rendre enfin public plusieurs perles (le merveilleux "Rainbow Eyes"), à défaut de constituer un véritable album. Soit le strict contraire de "Smile" – ou "Smile 2004", ne peut-on s’empêcher de penser à voix haute.
Quitte à user d’un des clichés les plus répandus sur le sujet, autant y aller de plein pied : "Smile", davantage que tout autre disque pop, est une cathédrale. S’ouvrant et se refermant par une même prière ("Our Prayer"), éblouissant par-dessus tout par sa majesté architecturale, le soin maniaque porté à la conception de ses vitraux, les moindres recoins que l’on ne peut s’empêcher de vouloir y déceler. A ce titre, ce qui semble légitimer la parution du disque sous la seule bannière de Brian Wilson, outre le fait que les autres Beach Boys (a fortiori ceux encore en vie) manifestèrent d’emblée de grandes réticences à l’égard du projet, tient au fait que "Smile" demeure, à quelques exceptions près, le disque de son auteur le plus instrumental et le moins tributaire des harmonies vocales de son ex-groupe. Aucun autre album conçu par l’aîné des frères Wilson ne comporte une telle profusion de clavecins, pianos, cordes, cuivres et même bruitages concrets à même de définir la coloration baroque inhérente à un tel édifice. Le travail visant à recréer tout ça aujourd’hui ex nihilo, avec le concours des Wondermints, se révèle dans l’ensemble stupéfiant de beauté et de cohérence – un documentaire à paraître sur l’enregistrement laisse entrevoir le très fort degré d’implication de Brian Wilson en ce domaine. Quant au découpage du disque en trois mouvements, il offre l’avantage de mettre à plat les trois grands axes thématiques du disque et des paroles de Van Dyke Parks : l’histoire de l’Amérique (depuis les premier colons), l’enfance et enfin la célébration de la terre et des éléments (avec en point d’orgue l’illustre "Mrs O’Leary’s Cow", évocation dissonante et malade de l’élément "feu", qui reste le morceau de musique le moins musical de toute la carrière de Wilson, quelque chose comme son "Helter Skelter" à lui) ; schéma qui reste cela dit réducteur, tant certains titres, comme "Surf’s Up", semblent se situer à l’exacte jonction de ces trois thèmes.
Pour sûr, le tableau ne saurait s’exempter de zones d’ombre. Brian, dont le falsetto vous brisait jadis littéralement le coeur, ne peut plus chanter dans les aigus et a besoin d’être grossièrement suppléé par Jeff Foskett sur le déchirant "Surf’s Up". De même, le relief exceptionnel de la ligne de basse de Carol Caye sur le "Good Vibrations" de 1967 a laissé place à un son nettement plus terne et banal. Et ainsi de suite…
Mais dans le fond, cela importe peu. Au bout du 3ème mouvement, sur "Blue Hawaii", lorsque survient l’envolée de cuivres qu’on ne peut s’empêcher de rapprocher de celle de "Golden Slumbers/Carry That Weight" des Beatles, se produit un phénomène confondant, qui ne s’explique pas. A cet instant précis, LÀ, on comprend que Brian Wilson a enfin trouvé la clé de l’histoire, chassé un de ses démons les plus vivaces, que ce vaste chantier sur le papier improbable se justifiait en réalité pleinement. Et le wilsonmaniac de se trouver au bord des larmes (de joie).
Ainsi rebâti de toutes pièces, bien qu’effrontément anachronique, "Smile" existe enfin en tant que chef-d’oeuvre, uni, tout en ne rendant pas pour autant caduque la créature démantibulée et fascinante du même nom qui continue d’exister parallèlement par bootlegs et albums interposés. Ce n’est certainement pas la moindre de ses élégances.
Julien
Our Prayer / Gee
Heroes & Villains
Roll Plymouth Rock
Barnyard
Old Master Painter / You Are My Sunshine
Cabin Essence
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Wonderful
Song For Children
Child Is Father Of The Man
Surf’s Up
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I’m In Great Shape / I Wanna Be Around / Workshop
Vega-Tables
On A Holiday
Wind Chimes
Mrs. O’Leary’s Cow
In Blue Hawaii
Good Vibrations