THE ALBUM LEAF
En allant enregistrer son album en Islande en compagnie de musiciens du cru (des membres de Sigur Rós ou de Múm), le californien James LaValle, également collaborateur de Tristeza et Black Heart Procession, a trouvé la bonne formule, le juste équilibre entre organique et électronique, instruments et chant. Voici comment il parlait de « In a safe Place » quelques semaines avant sa sortie française.
C’est ton premier album à être distribué en France ?
Oui, je suis déjà venu ici avec mon autre groupe, mais je n’y ai jamais joué.
Tu joues encore avec Black Heart Procession ?
Oui, je joue encore avec eux, mais seulement de la basse, donc ce n’est pas très important.
Il y a beaucoup de nouveautés sur ce nouvel album… D’abord, c’est la première fois que tu ne l’enregistres pas aux Etats-Unis, mais en Islande.
C’était… C’était génial ! C’est une décision qui tient à plein de paramètres. D’abord, mon amitié avec Sigur Rós, le fait que j’ai tourné avec eux, qu’ils m’aient accompagné sur scène. Je voulais capturer cela sur disque. Ensuite, c’était très tentant d’être loin de chez moi, de ne pas avoir de distraction, de pouvoir juste se concentrer sur l’écriture, l’enregistrement. De ne pas avoir à nourrir mon chat, ou à voir des amis. Cela, j’aurais pu le faire partout, à Chicago ou partout ailleurs. Mais l’Islande, ça a quelque chose de fascinant. Cet endroit que beaucoup de monde connaît mais que personne ne visite, un endroit surréel, calme…
L’album était partiellement écrit quand tu es arrivé en Islande ?
Je suis arrivé avec six ou sept idées…
Que veux-tu dire par « idées » ?
Juste les parties principales… Comment dire, les « accroches » des morceaux. Il n’y a pas d’accroche dans mes morceaux, mais tu vois ce que je veux dire : les idées principales. J’ai fini le reste là-bas. En travaillant avec les membres de Sigur Rós, tout s’est mis en place, s’est complété et ça a donné ce que tu peux entendre sur le disque.
Pourquoi as-tu appelé ce disque « In a Safe Place » ? Tu te sentais en sûreté en Islande ?
Il y a un lien, oui, mais partiel. C’est plutôt un constat général sur là où j’en suis dans ma vie en ce moment. Faire la musique que j’ai envie de faire, pouvoir en vivre, être chez Sub Pop aux Etats-Unis, chez Labels en France, me sentir soutenu par tout le monde, se sentir très très bien là où j’en suis. Il y avait probablement un meilleur mot que « safe » mais c’est celui-là qui est venu.
Tu avais un travail en dehors de la musique jusqu’à récemment ?
J’ai fait toute sorte de boulots, de livrer des pizzas à faire du télémarketing. J’ai fait tellement de choses, tellement lutté avant d’en arriver à faire ce que je voulais.
Tu as joué avec énormément de groupes, en même temps…
Oh oui, pendant les dix dernières années, j’ai joué avec une dizaine de groupes. Jamais plus de trois en maintenant, ce qui est déjà beaucoup, je le confesse. Parmi les trois, il y en avait toujours au moins un qui était inactif donc ça allait. San Diego est une ville où tous les groupes s’entraident, donc il y avait toujours un coup de main à donner.
Dans des styles très différents ?
Oui, c’est ce qui préserve la fraîcheur de ce genre d’expérience. Sans cela, cela aurait été vite lassant.
J’ai lu que tu avais une formation classique ?
Oui, c’est vrai, mais je n’ai pas de formation classique pour les instruments dont je joue sur « In a safe Place », par exemple pour la guitare. J’ai pris trois ans de cours de piano il y a 22 ans ! Mais il est vrai que j’ai eu une éducation musicale classique et cela se ressent sans doute dans ma façon de concevoir la musique.
Comment t’y prends-tu pour composer ta musique ?
Je pars du Rhodes, de la guitare, d’un beat, d’une ligne de basse… Tout peut donner naissance à un morceau. Dès que j’ai une idée, je l’enregistre immédiatement. Ensuite je rajoute des couches, j’ajoute des changements, que je travaille, que j’édite. Ensuite je réenregistre certaines parties.
Comment les artistes avec lesquels tu as collaboré se sont insérés dans ce processus ?
Mon idée initiale c’était de partir de ces bases de morceau, d’arriver en Islande, de réunir tout le monde et de laisser les choses évoluer, les idées des gens interférer. Cela ne s’est pas passé comme ça, car ils n’avaient pas le temps d’autant s’investir. J’ai d’abord travaillé entre dix et douze heures par jour là-bas, à peaufiner le moindre petit détail ou finir l’écriture de certaines parties. Ensuite je faisais des mises à plat sur cd et je leur donnais, à eux d’apporter leurs idées. Ils ont apporté beaucoup aux morceaux auxquels ils ont collaboré. Kjartan, le pianiste a ajouté beaucoup de mélodies aux morceaux sur lesquels il a joué, c’était fabuleux. La violoncelliste a apporté beaucoup de très bonnes idées également.
Il t’est arrivé de refuser ces apports ?
Non, non. C’était ce que je voulais, les laisser faire ce qu’ils voulaient. Et rien de ce qu’ils ont apporté n’était mauvais (rires).
Une autre nouveauté sur ce disque, c’est l’apparition en force de parties vocales…
Cela fait longtemps que je voulais des parties vocales sur mes disques, mais je n’avais jamais eu les tripes de le faire (rires). Quand Pall de Black Heart Procession est venu avec moi en Islande pour la première fois, il a écouté les morceaux, a joué dessus. Et, quand il entendait un morceau qui lui inspirait une mélodie de chant, il tentait le coup. Parfois cela fonctionnait, d’autres non. Et donc il enregistrait, et moi je réenregistrais par dessus. Ce n’est jamais moi qui ai fait le premier pas, si je puis dire. Sur « On your Way », on entend ma voix et la sienne en arrière-plan. Mais il a écrit les paroles. C’est un très bon parolier et les paroles, c’est ce qui me faisait le plus peur. Nous avons écrit « Eastern Glow » à deux, mais c’est lui qui la chante. C’est quelque chose que je voulais faire, mais j’avais besoin que quelqu’un me mette le pied à l’étrier.
Et maintenant, le pli est pris ?
Oui, je veux continuer à le faire, je veux continuer à le faire de la façon dont je l’ai fait sur cet album. Je ne veux pas d’un album basé sur les parties vocales. Je veux mon son, mon style, et trois ou quatre morceaux avec des parties chantées.
Tu penses que ça peut participer à rendre ta musique plus accessible ?
Oui, exactement. Si tu représentes la musique de cette façon (il écarte les bras) et que tu mets les gens susceptibles de l’écouter, le public, à un bout, ma musique et la musique instrumentale en général se situent à l’autre extrémité. Les gens ne peuvent pas s’identifier facilement à la musique instrumentale, ils la trouvent ennuyeuse, parce qu’on ne peut pas la chantonner dans la voiture, par exemple. Je veux briser cet éloignement, rapprocher ma musique de l’auditeur, ouvrir une nouvelle porte vers ma musique qui permette à plus de gens susceptibles d’être intéressés de la découvrir.