BERTRAND BURGALAT
Deuxième partie de l’entretien que nous a accordé le boss du label Tricatel Bertrand Burgalat à l’occasion de la sortie de la compilation « L’âge d’or » Au programme cette semaine, agitateur d’agitateurs de talent, mannequins pas classes et chanteurs tristus…
Parmi les différents projets de Tricatel, il y a eu la série « Musée Imaginaire ». Comment est née cette idée de rendre hommage à des gens un peu dans l’ombre ?
D’abord, souvent ce sont des gens qui sont assimilés seulement à des arrangeurs, et je trouve ça un peu insultant, parce que ce sont des super compositeurs, capables de composer 24 parties en même temps. Ce sont des gens qui ont mis leur talent aux services des autres, beaucoup plus qu’à leur service. C’est dommage de les faire redécouvrir seulement quand ils sont morts. Quelqu’un comme André Popp, c’est quelqu’un qui a fait naître beaucoup de vocations, avec « Piccolo et Saxo ». Il était très content qu’on sorte un de ses disques. Il y a d’autres gens que j’aimerais sortir : les musiques des films de Jacques Rozier, celles de Franju, un concert de Can enregistré par Radio France au Bataclan… mais ça prend du temps et ce n’est qu’une petite partie de ce qu’on veut faire. On est dans une période où les gens pompent tellement le passé, mais en s’en cachant, moi quand je suis influencé par quelque chose, je ne me cache pas, au contraire, je ne pense pas le copier servilement. C’est pour ça que j’aimerais rendre hommage à Mike Always de El Records par exemple, parce que c’est quelqu’un dont on ne se rend pas compte de l’influence qu’il a eue, et je trouve ça dommage. Ca sera peut-être dans le cadre du Musée Imaginaire.
Autre activité, c’étaient les soirées puis après-midi Tricatel…
Alors, on va refaire quelque chose en mai à Mains d’Oeuvres, avec du théâtre, avec les High Llamas. Ce qu’on faisait au Bowling avant, on a arrêté parce que cela se passait trop bien, d’une certaine façon. Ca devenait tellement mode aussi, on sentait que ça allait basculer vers quelque chose qui ne nous plaisait pas, que les gens ne viendraient plus pour la musique. C’est pour ça qu’on était content d’aller à Saint Ouen, il fallait faire l’effort d’y aller, c’était plus axé sur la musique. J’ai de très bons souvenirs du Bowling, mais je crois que les meilleurs sont à Saint Ouen. Je me souviens de moments, à une heure du matin, alors que ça aurait dû être fini depuis deux heures, Christophe Lemaire passait trois disques, et même si les gens étaient un peu mous ce soir-là, tout le monde allait se déchaîner sur le dance floor, après avoir été très attentifs aux groupes. On essayait de présenter des groupes qu’on n’avait pas forcément la possibilité de signer, mais dont on appréciait le travail, les membres. Il y avait un côté MJC. On refera sûrement des choses, mais il faut qu’on trouve une autre formule. Au Bowling, on avait vraiment l’impression d’engraisser tout le monde, nous on ne perdait pas d’argent mais on n’en gagnait pas non plus… le patron s’en mettait plein les poches et on devait pourtant se battre à chaque fois pour qu’il n’augmente pas le prix des consommations. C’est ce que j’ai vu quand on est allé tourner en Russie : en fait, la musique devrait dépendre du Ministère du Tourisme, pas de celui de la Culture, parce qu’on est là pour faire tourner les boîtes, les restos, etc. Après le Bowling, j’ai été contacté pour faire plein de trucs dans des endroits chicos, mais j’ai toujours dit non. Ce n’est pas ça qui m’intéressait. A l’époque du Bowling, je partais du principe qu’il fallait que ce soit gratuit, parce que les personnes qui seraient obligées de payer, ce seraient celles qui ne seraient pas sur la guest-list, donc celles qui ont le moins de fric. Au bout d’un moment, on avait plein d’incrusteurs qui venaient là sans trop savoir pourquoi. Si bien qu’à Mains d’Oeuvres j’ai tenu à ce qu’il y ait un prix, modique certes, mais pas de guest-list. Tous les gens de maisons de disques, tout ça, ils sont sympathiques, certes, mais ce sont les autres qui nous intéressent. Ce devrait être gratuit pour le public, mais payant pour les professionnels…
C’est iconoclaste comme point de vue, ça risquerait d’en traumatiser certains…
Faudrait faire une guest-list payante en fait…
Si l’on passe en revue un peu toute les sorties Tricatel, comment se sont faites les différentes rencontres, par exemple Eggstone ?
Ils étaient distribués par l’Appareil Photo au Japon, comme nous, donc on s’était connus comme ça. Il y avait une compilation, à Noël 94, sur laquelle il y avait deux morceaux d’Eggstone, et j’avais trouvé ça superbe, on s’est rencontré grâce à ça. Il y a un regret que j’ai pour ce label, c’est qu’on ait vraiment été des bras cassés commercialement parlant, qu’on n’ait pas réussi à vendre un truc comme Eggstone. Les radios qui nous ont refusé ce groupe passaient toutes Weezer deux ans après, alors je trouve ça triste, car c’était un groupe sublime, très bon sur scène. C’est dommage que cela n’ait intéressé personne.
Count Indigo ?
Je l’avais rencontré au moment où je travaillais davantage à Londres. Son manager m’avait demandé de produire un single pour lui. A l’époque, il venait de sortir un maxi sur un label plutôt dance. On a sympathisé, je voulais le signer alors on a essayé de le sortir de son deal avec ce label. On a mis beaucoup de temps à sortir ce disque. Là aussi, c’est un vrai regret, je ne comprends pas que ce type-là ne soit pas une star aujourd’hui. C’est un sacré personnage, attachant, un très bon parolier aussi. C’est là où je ne sais pas si nous on est capable, si on a la puissance de conviction pour passer de choses confidentielles à des choses plus grand public. Même si on avait des sorties plus commerciales, je ne sais pas si on arriverait à les vendre. D’une certaine façon, des choses plus commerciales que ce qu’on fait d’habitude, comme l’album de Count Indigo, on a plus de mal, parce que ce genre de productions, pour que ça vende, il faut des moyens de lancement énormes. On n’a pas trouvé de licence pour celui-là.
Alors qu’il y a quand même quelques tubes assez évidents sur cet album…
Oui, heureusement qu’il y a une radio comme Nova qui nous a soutenus…