SANTA CRUZ – Welcome to the Red Barn
(Hasta Luego Recordings / Wagram) [site]
En offrant une musique pleine de références et de révérences, les bretons de Santa Cruz ne choisissent pas une voie forcément évidente. S’atteler à revisiter tout un pan de la musique américaine (en gros : tout ce que l’oncle Sam a produit comme outlaws entêtés et cowboys métaphysiques ces 30 dernières années), c’est prendre le risque tomber dans un océan d’indifférence, ou de s’attirer les foudres des tenants de l’identité culturelle d’ici et des apôtres de la nouveauté musicale. Moi, partisan du déracinement permanent et du brouillage territorial, cette démarche entière, un peu larguée et sans concessions ne peut que me séduire. D’ailleurs, on ne peut presque plus parler de disque tant ce "Welcome to the Red Barn" s’apparente à un package générationnel : du titre de l’album à la pochette en passant par le nom des morceaux et les photos du livret, tout concourt ici à retracer la découverte d’un continent, qui fut commune à beaucoup d’entre nous. La création d’une Amérique mythologique, d’un catalogue à la fois intime et collectif de fantasmes culturels et géographiques : l’Amérique chantée par ses troubadours teigneux, mélancoliques ou contemplatifs (Dylan/Neil Young/JJ Cale/Tom Waits pour les plus anciens, Palace & co, Sparklehorse ou Smog pour les plus récents), décrite par les laissés pour compte de l’american dream dans les nouvelles de Carver ou Bukowski, filmée de façon élégiaque ou romantique (Cimino, Jarmusch, Wenders et tant d’autres). Le danger pour Santa Cruz serait de ne s’en tenir qu’à une vision justement, l’aspect purement imagé et imaginaire de notre fascination pour l’Améryque – cet espace abstrait et mental (très bien décrite par François Gorin dans son livre du même nom). Or le groupe est assez fin et cultivé pour à la fois jouer avec notre stock de chromos et de clichés (la liste est longue : poussière et tumbleweeds, bourbon et bière, fièvre et accablement, spiritualité et trivialité, route et rades) et les déjouer simultanément. Ainsi le piège de la carte postale ne se referme pas sur Santa Cruz, qui a le talent et la modestie nécessaires pour accomplir des exercices d’admiration qui ne tournent ni au plagiat ni à la parodie. Loin de simplement déposer des reliques au pied de la Sainte-Croix de la musique conçue originellement par les mavericks américains, Santa Cruz écrit un roadbook où les citations des maîtres du genre côtoient les commentaires – parfois naïfs dans leur manque de distance, toujours touchants – des voyageurs. Ainsi des relectures du "River Guard" de Smog ou du "I Wanna Be Your Dog" des Stooges, fidèles à l’esprit plus qu’à la lettre. Ainsi de toutes ces chansons, où les figures tutélaires de Lambchop ("Highway 84"), Calexico ("Whatever it Takes"), Sparklehorse ("Water Tank"), Tom Waits ("I Don’t Drink Water") sont plus des ombres discrètes portées sur le sol que des fétiches encombrants. Portées par une instrumentation irréprochable (slide guitar, orgues vintage, percussions) et des voix profondes et sombres, les 15 morceaux country-western-folk amers et rêveurs de "Welcome to the Red Barn" sont également transcendés par la cohésion et l’entente (qu’on imagine à la fois naturelle et mystérieuse) des musiciens impliqués dans le projet autour de Bruno Green et Pierre-Vital Gérard. Réalisé "sans préméditation" à la suite de sessions sans pression, cet enregistrement est captivant : réceptacle et point de jonction des fantasmes américains de chacun des participants, il constitue un document précieux sur une musique livrée à la seule règle du plaisir de jouer et d’être ensemble. En fait Santa Cruz ne fait que prolonger la vieille habitude américaine qui consiste à reprendre un répertoire traditionnel tout en laissant les circonstances (les musiciens, le lieu, le moment, les humeurs) décider de l’originalité et de la pertinence du résultat. Et si la comparaison avec les Basement tapes de Dylan et du Band est un peu exagérée (moins d’immédiateté, moins de musicalité… moins de drogues vraisemblablement), la démarche est la même : la tradition comme source d’inspiration alliée à la liberté dans l’exécution. Rencontre, hasard, plaisir : pour le cynique, ce ne sont que des clichés suspects. Pour l’auditeur de Santa Cruz, ce sera plutôt la preuve qu’un objet singulier peut naître d’une obsession partagée.
Laurent Vaissière
Game of pool
Highway 84
I hate you
Bunch of stars
Whatever it takes
Westbound train
Betrayal & conspiracy
Water tank
River guard
L.A. lament
Oh my lord !
Red with mud
Alcohol, spirits and wine
I don’t drink water
I wanna be your dog