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Spiritualized – Interview

 

SPIRITUALIZEDJason Pierce, son nom seul est devenu une menace. Accès de rage, colère incommensurable, violences diverses, haine du journaliste, voici quelques-uns des traits de caractère associés au leader de Spiritualized. Il croquerait un baveux tous les matins, dit la légende, et le soir il casse du rédacteur comme du petit-bois. En plus son dernier disque est brut de décoffrage, les guitares suintent la sueur et le renfermé. Et, s’il fallait encore en rajouter, il a donné la veille un concert génial, virulent sans adresser une seule fois la parole à un public pourtant tout acquis à sa musique. C’est sûr, interviewer Jason Pierce est une folie, je vais me faire bouffer tout cru… Salaud de rédacteur en chef qui m’a envoyé à cette mission suicide pour les beaux yeux (forts beaux, je suis d’accord) d’une charmante attachée de presse…
Ça commence bien, l’Anglais lunatique a décidé de se promener dans le quartier de la Bourse, je suis en avance, il n’est pas là. Et, quand il arrive enfin, avec, au bas mot, 1 minute d’avance, il me sourit. Attendez, il y a quelque chose qui ne cadre pas, je n’ai pas en face de moi un horrible monstre sanguinaire ?!?! Jason Pierce est en fait un parfait gentleman, calme et posé, heureux d’être à Paris et d’en admirer les rues. Il est aussi ravi de son concert de la veille et ne tarit pas d’éloge sur le public français qui écoute vraiment la musique. S’en suit une demi-heure d’entretien bon enfant, autour d’une tasse de thé. Jason Pierce ou comment prendre son image à contre-pied.

Bonjour, comment tu te sens aujourd’hui ? pas trop fatigué après le concert d’hier ?
Haaa, c’était bien hier ! (Gros sourire) vraiment super, extraordinaire même. Mais non, je ne suis pas fatigué. En fait j’adore ça (sourire). J’essayais de l’expliquer à un type hier soir, quand on est en tournée, il faut d’abord se préparer. C’est impossible d’arriver le premier soir et de s’enfiler deux bouteilles de vin rouge et de fumer de quoi endormir une armée. Non, il faut se préparer, comme un sportif, ça doit être progressif. Et la tournée devient alors cette déferlante d’adrénaline, le corps s’y adapte, et tous les soirs, je prends un pied énorme. Quand on revient d’une tournée en Australie ou aux Etats-unis, il arrive qu’à une certaine heure de la matinée, on ressente une soudaine et inexplicable montée d’adrénaline, un gros buzz, mieux que les drogues. Et en y réfléchissant tu t’aperçois qu’en fait, avec le décalage horaire, ce buzz correspond aux heures où tu étais sur scène sur l’autre continent. Showtime rush !

La dernière fois que j’ai vu Spiritualized sur scène, c’était un énorme show avec des cuivres, des choristes, du monde partout. Et là, tu as réduit ça à presque rien.
On est quand même sept sur scène… mais oui, on a réduit la voilure. En fait, pendant la dernière tournée, je me suis rendu compte que plus on avait d’espace autour de nous et plus on se concentrait, plus on entendait ce que les autres faisaient. Jouer de la musique, c’est avant tout entendre, se taire et entendre ce que les autres font et comme ça on peut y répondre, instaurer un dialogue. Et c’est ce qu’on a commencé à faire. Il y a un faux sentiment de sécurité quand on est nombreux sur scène, c’est facile de ne pas prendre de risque, de rester peinard dans son coin et de se cacher derrière les autres. Et j’ai l’impression que ça fonctionne très bien depuis qu’on s’est mis à la nouvelle formule.

Ca veut dire qu’il n’y a plus de place laissée à l’erreur…
Au contraire, ça laisse beaucoup de place aux erreurs (sourire). Mais c’est des erreurs qu’on apprend le plus… donc, c’est pas si mal. (rire)

Le nouvel album aussi est assez dépouillé, nu.
Oui, un peu, mais il ne s’agit pas d’un exercice de style. Il n’a jamais été question de faire de la musique minimale ou du garage. L’idée c’était… hum… Sur l’album de Spring Heel Jack auquel j’ai collaboré, il y avait aussi Han Bennink et Evan Parker ou Paul Rutherford. Et ces types, sont des dieux, les rois du jazz et de la musique improvisée en Europe. Et la musique jaillit d’eux. Han Bennink est le type le plus punk qu’il m’ait été donné de rencontrer. J’ai tellement appris de ces mecs ! Et la seule façon de vraiment mettre en pratique ce qu’ils m’ont enseigné c’est d’aller à la recherche de moments uniques. Donc, pour « Amazing Grace », ce que j’ai fait, c’est que chaque matin, je présentais au groupe la musique qu’ils allaient enregistrer le jour même. donc ce qu’on entend sur le disque c’est l’instant précis où ils apprennent les morceaux. Ils répondent à des instructions, qu’ils n’avaient jamais entendues auparavant. Et en plus de ne pas vraiment savoir ce qu’ils allaient jouer à la guitare, ils ne savaient pas non plus ce que le batteur allait leur envoyer. Et ça, ce moment unique où l’on entend la recherche, l’exploration musicale et un début de découverte, c’est ça que je recherchais. L’album est vraiment le reflet de cet instant.

Donc, tu es parfaitement heureux du résultat ?
Oui, on a fait une chanson par jour pendant onze jours. Et puis après j’ai rajouté des trucs (je rajoute toujours des trucs), des choeurs et puis aussi des cordes. Et ensuite je l’ai écouté pendant trois mois. Je l’ai écouté encore et encore. Je voulais vraiment être sûr que le disque ne soit pas frivole. Que ce ne soit pas un gimmick. C’est pour ça que je n’aime pas que l’on dise que c’est un disque « garage ». Ca implique un effet qu’il n’y avait pas à l’enregistrement. On ne s’est jamais dit « hey, on ne peut pas aller plus haut et plus fort que le dernier album alors on va réduire ». Non, je voulais vraiment un instantané de la découverte. J’aurais pu faire un album deux fois plus gros que le précédent, il n’y a pas vraiment de limites…
Mais aussi, ce qui me plaît dans le jazz, et sur cet album de Spring Heel Jack, c’est le placement des micros pendant l’enregistrement. Les micros sont mis là où se passe l’action. Donc on entend le « squeak » des pistons de la trompette, on entend les doigts qui courent sur les instruments et ça redonne parfaitement cet aspect physique de la musique. C’est une chose vivante. On entend que les instruments ne jouent pas tout seul, il faut les forcer pour faire de la musique extrême. et je voulais avoir cet aspect là des choses sur « Amazing Grace » aussi. Parce qu’on entend trop de musique… automatique, artificielle. Juste de l’exécution et la musique c’est plus, bien plus que de la simple exécution.

Il y a un gros facteur humain sur l’album.
OUI ! C’est vraiment humain, nu, exposé sans pudeur, faillible. C’est vraiment fragile. On n’est pas entré en studio en pleine confiance. la confiance commence à venir maintenant, quand on joue en concert parce qu’on connaît les morceaux. Mais quand on est rentré en studio, on était fragile, timide. Et la musique reflète ça.

Et ça ne t’as pas fait peur de t’ouvrir comme ça ?
Oui et non en fait. Je pense que la meilleure musique émane de ces moments quand on perd le contrôle et moins on contrôle les choses, meilleure est la musique. Il faut savoir se mettre en danger pour se dépasser. En faisant cet album je n’avais aucune certitude. j’avais plein de questions, mais aucune réponse. Je ne savais absolument pas comment ça allait finir. Mais ça je ne l’ai dit à personne. Donc si ça n’avait pas marché, personne n’en aurait rien su. Il y a tellement de musique « à la mode » qui consiste simplement en quelques phrases clefs que l’on donne à la presse pendant l’enregistrement. Qui ensuite nourrissent une rumeur qui enfle petit à petit. « On a viré le premier producteur… et maintenant on fait le mastering dans tel studio… et maintenant on a finalisé le tracklisting… venez voir les épreuves de la pochette » (NdlR : mais de qui veut-il parler ????). Et souvent le résultat final est bien pâle comparé à toute la machine qui s’est mise en route.
Avec « Amazing Grace », ça n’a pas été si compliqué. On est parti, on a fait un album, et une fois l’album fini on l’a présenté au monde. Voilà, ça y est, il est là.

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